mardi 18 février 2020

Hasard et RLCcité


  Maurice Leblanc a logé un certain Essarès rue Raynouard dans Le triangle d’or, DONC Leblanc était initié aux secrets du Razès et de Rennes-le-Château (RLC).
  Jules Verne a fait se côtoyer un capitaine Bugarach et l’archiduc Jean Orth dans Clovis Dardentor, DONC Verne savait que l’or des rejetons ardents mérovingiens était caché du côté de Bugarach, vers RLC, qu’aurait visité Jean Orth.

  Georges Perec a imaginé l’immeuble de La vie mode d’emploi comme un ensemble de 100 cases qu’il parcourt selon la polygraphie du cavalier, à partir de la case 6,6, DONC Perec connaissait tout des codages du Grand Parchemin, l’une des pièces essentielles du dossier RLC.

  Si les auteurs qui ont exploré ces pistes ont d’autres arguments, souvent troublants, il est difficile de voir en Leblanc ou Verne des ésotéristes patentés, et ça tourne au grotesque quand il s’agit de Perec. La vérité serait-elle ailleurs ?
  Je crois avoir décelé un étrange phénomène dans la fiction, générateur des plus improbables coïncidences, défiant la raison. Probablement parce que mon esprit reste aveuglé par cette rationalité, il m’a fallu près de 10 ans pour franchir un pas qui relie à RLC le cas que je cite le plus volontiers.

  Ce cas est emblématique parce qu’il concerne deux œuvres largement diffusées, et que la coïncidence principale ne peut être intentionnelle. Il s’agit du film Pi de Darren Aronofsky (1998) et du roman La maison des feuilles de Mark Danielewski (2000). A la fin de celui-ci une annexe présente 4 documents, dessins et photos, numérotés 175079, 001280, 046665, et 081512. Seul le dernier nombre a été élucidé, il doit se comprendre 08-15-12, rangs des lettres H-O-L, acronyme du titre original, House of Leaves.

  Dans Pi, une fillette pose 4 opérations arithmétiques au génie mathématique Max Cohen. Le film s’achève sur son impossibilité de résoudre la dernière, 748/238. Qui effectuerait le calcul trouverait 3,14…, soit Pi, le titre du film. L’opération précédente est 255 fois 183, dont le résultat est 46665.


  Comme Pi est antérieur à HOL, le bon sens commanderait que Mark ait emprunté 46665 à Darren, mais il se trouve qu’il s’agit du numéro de sa boîte postale, qu’il n’a pu choisir (j’imagine qu’il l’a utilisé ici parce que le document 46665 consiste en deux enveloppes surchargées de gribouillages divers). Ces gribouillages évoquent plus ou moins cryptiquement le nombre d’or et le temple de Jérusalem, deux éléments présents dans Pi (qui est peut-être le seul film dont le format est un rectangle d’or).
  Alors non seulement on trouve le même nombre de 5 chiffres, 46665, dans les deux œuvres, mais il est dans les deux cas le troisième d’un ensemble de 4 nombres dont le dernier est une allusion cachée au titre de l’œuvre. Je ne connais aucune autre œuvre de ce type, et personne ne m’en a signalé alors que j’ai publié mes travaux sur la question à diverses reprises depuis 2007.


  Car il y a de nombreux à-côtés, tant ces œuvres sont touffues. Un écho extérieur est la présence du nombre 66654 dans le roman Apocalypse (2009), où le duo Giacometti-Ravenne emmène le commissaire Marcas enquêter à RLC. En grattant une couche de peinture du livre à côté de Marie-Madeleine sur un bas-relief de l’église de RLC, Marcas découvre une inscription d’origine, Maria Nigra 66654. Marcas se reporte à la stèle de Marie de Nègre, autre pièce majeure de l’affaire RLC, pour décoder le mot NIGLA obtenu par des sauts de lettres 6-6-6-5-4. Nigla signifie « apocalypse » en hébreu.
  J’ai commenté ceci parce que 66654 est formé des mêmes chiffres que 46665 et qu’il y a certains échos entre HOL et RLC, la formule Terribilis est locus iste par exemple, mais il m’a fallu près de 10 ans pour pleinement réaliser que Apocalypse est précisément le titre du roman !

  Ce n’est pas tout à fait le même cas de figure, puisque dans Pi et HOL un nombre final mène implicitement un lecteur perspicace au titre du livre, alors qu’ici la résolution de l’énigme 66654 est explicite, mais il est tout de même vertigineux que 66654 soit une permutation immédiate du nombre 46665 intimement lié aux nombres significatifs de Pi et HOL.

  Je peux aisément imaginer qu'il existe d'autres oeuvres dont le titre résulte de la résolution d'une énigme, numérique ou non, explicitée ou non. Je ne pense à l'instant qu'à mon roman Novel Roman, dont le titre répond aux jeux numériques et alphabétiques multipliés dans l'intrigue.
  Il y a aussi ma nouvelle L'enchanté réseau, anagramme de Rennes-le-Château.


  J'ai de nombreux articles sur les "Ski-Sky", le dernier sur Blogruz étant ici, le dernier sur Quaternité étant . L'article suivant étudie d'autres aspects dorés du document 46665.
  La première approche d'Apocalypse est ici; j'y parle aussi du roman suivant de Giacometti-Ravenne, Lux Tenebrae, concernant le temple de Jérusalem.
  Que Giacometti-Ravenne aient transformé Marie de Nègre en Maria Nigra, peut-être pour l'homologie avec nigla, me rappelle que j'ai étudié ici une autre coïncidence de nombre. Dans La Jangada de Jules Verne, un innocent doit être exécuté un 31 août à 9 h. La confession du vrai coupable est contenue dans un message codé décrypté au dernier moment. C'est ce même code qui est utilisé pour parvenir au fameux message Bergère pas de tentation..., anagramme du texte de la stèle de Marie de Nègre, et qui a été employé par Ricardo Viñes, proche de Debussy, pour les passages intimes de son journal. La clé qu'il avait choisie était le nom de son aimée,
MARIA = (1)3-1-(1)8-9-1, fournissant le chiffre 31891, étonnant écho au 31/8, 9 heures de Verne. Dans le roman Sépulchre, Kate Mosse relie Debussy à l'affaire RLC, et fait figurer la date du 31 octobre 1891 sous la forme 31/VIII/91.
  J'ai étudié dans cet article et le suivant les éventuels échos entre Perec et RLC.


lundi 8 octobre 2018

Une messe en phi majeur



Un musicologue enthousiaste a pu jadis écrire que la Messe en si mineur BWV 232 était « la plus grande composition de tous les temps et de tous les pays ». Sans être aussi péremptoire, il est au moins certain que cette œuvre était essentielle pour Bach lui-même ; il n’a cessé de la remanier de 1733 à 1749, peu avant sa mort, et elle contient par ailleurs diverses pièces empruntées à des œuvres antérieures. C’est une sorte de florilège de quarante ans de composition de musique sacrée.
Le moment le plus intense de cette messe est le Credo. Le long texte de la prière est réparti en 8 pièces, dont 6 pièces de chœurs et deux pièces plus simples à une et deux voix. La répartition obtenue en groupant les chœurs consécutifs livre le schéma suivant :
– 129 mesures de deux pièces de chœurs (45+84)
– 80 mesures d’un duo
– 233 mesures de trois pièces de chœurs (49+53+131)
– 144 mesures d’une aria solo
– 251 mesures de chœurs en une seule pièce, mais avec des changements de tempo et de tonalité

L’amateur de nombres peut reconnaître en 144 et 233 deux termes de la suite de Fibonacci, connue du temps de Bach, Kepler ayant découvert que le rapport de deux termes consécutifs de cette suite tend vers le nombre d’or, « joyau de la géométrie », divine proportion, phi, φ.
Effectivement le rapport 233/144 donne 1.61805…, une excellente approximation du nombre d’or, de φ, nombre irrationnel dont les premières décimales sont 1.618033…
Le premier groupe de chœurs totalise 129 mesures, et 129/φ donne 79.73 ; le plus proche entier est 80, qui est précisément le nombre de mesures du duo qui suit.
La dernière pièce de chœurs donnerait une section d’or à 251/φ = 155.13 mesures. Le plus proche entier est 155, or à partir de la mesure 156 les chœurs font silence pour la première fois dans cette pièce, pour 7 mesures, laissant l’orchestre au premier plan.

C’est donc tout le Credo qui semble harmonisé par le nombre d’or, mais il est important de signaler que ce bel équilibre n’apparaît que dans l’état final de la Messe. Originellement, le duo de 80 mesures développait le texte Et in unum Dominum, Jesum Christum… jusqu’à Et incarnatus est de Spirito Sancto ex Maria virgine, et homo factus est. Puis on passait directement aux 53 mesures du Crucifixus.
Peu avant sa maladie, Bach a jugé bon d’insérer une nouvelle pièce de chœurs, de 49 mesures, l’admirable Et incarnatus est qui est une des plus belles pièces de la Messe, et il a très légèrement modifié le duo, conservant ses 80 mesures, pour l’adapter au texte initial amputé de sa dernière phrase Et incarnatus est
C’est dire que, dans sa forme antérieure, le Credo n’offrait pas la totale harmonie d’or de sa version finale, ce qui rend extrêmement difficile d’imaginer que Bach ait eu au départ l’intention d’une telle harmonie.
Néanmoins il est plus que curieux que la totale harmonie finale soit obtenue par l’insertion de 49 mesures de chœurs, car 49 n’est pas seulement ce qui manquait aux 184 mesures existantes (53+131) pour obtenir le nombre de Fibonacci 233, c’est aussi la section d’or de 80 du duo précédent, qui lui-même est la section d’or de 129 des chœurs d’ouverture. Et il ne s’agit pas d’une simple insertion, mais d’une extension du duo original en 80 mesures à deux pièces de 80 et 49 mesures, soit du remplacement de 80 par 129 qui en lui-même peut constituer une opération dorée…

Je n’essaie pas de réfléchir plus avant sur cette opération car les surprises ne sont pas terminées.
Il existe deux livres disponibles en français traitant de numérologie chez Bach, le dernier paru est Bach ou la Passion selon Jean-Sébastien – De Luther au nombre d’or, du luthiste canadien Guy Marchand (2003). Un livre entier consacré au nombre d’or chez Bach, et on y apprend qu’une centaine d’études a déjà été publiée sur le sujet.
Marchand ne s’intéresse qu’aux rapports d’or au sein d’une même pièce au tempo constant, car d’éventuelles relations d’or entre pièces où la durée de la mesure diffère seraient évidemment perdues à l’écoute. C’est une louable idée, mais rien ne prouve que Bach l’ait suivie ; de fait certains compositeurs qui se sont explicitement astreints à une architecture numérologique de leurs œuvres, comme Berg, ne se sont pas souciés des différences de tempi qui annihilent la construction à l’écoute.
Ainsi Marchand ne peut découvrir les relations vues plus haut, mais ce qu’il voit dans le Credo n’est pas sans intérêt. Les trois pièces permettant une lecture dorée seraient les trois pièces de chœurs totalisant 233 mesures, et principalement les 49 mesures du Et incarnatus est.
49 se partage au mieux en 30 et 19, or la pièce se compose de
– 19 mesures sur le texte Et incarnatus est de Spirito Sancto ex Maria virgine ;
– 19 mesures sur le même texte, à la quinte, avec de menues variantes mélodiques ;
– 11 mesures finales sur et homo factus est.
On a donc une nette coupure en 19+30, et de plus une possibilité de couper la seconde partie en 19+11, ce qui est encore le meilleur partage doré de 30. Curieux après les rapports d’or de cette pièce avec les précédentes.
Marchand ne fait que citer une analyse d’Auxetier sur le Crucifixus, construit sur un motif de passacaille en 4 mesures répété 13 fois, nombre de Fibonacci. Auxetier prétend distinguer les motifs 5, 8, et 13, mais ces distinctions sont forcées, et la division la plus immédiate de la pièce est en 36 et 17 mesures. Je relève cependant la présence bien réelle de 13, 7e terme de la suite de Fibonacci, au cœur de ces trois chœurs totalisant 233 mesures, 13e terme de la suite de Fibonacci.
Marchand attache beaucoup plus d’importance à la pièce suivante, Et resurrexit, dont il trouve un partage idéal en 50 et 81 mesures. Ce cas n’est pas aussi immédiat que le Et incarnatus est dont le partage en trois parties est net, alors qu’il y a ici d’autres possibilités de partage qui n’ont rien à voir avec le nombre d’or.
Marchand relève que ce sont les deux chœurs formant avec le Crucifixus le cœur de la doxologie du Credo qui sont dans des proportions correspondant au nombre d’or, alors que dans les deux parties précédentes de la messe, le Kyrie et le Gloria, ce sont aussi les pièces centrales, celles faisant directement référence au Christ, le Christe eleison et le Domine Deus, qui offrent des possibilités d’or. S’il faudrait discuter dans le détail chaque cas, ces convergences sont troublantes et constituent l’un des exemples les plus convaincants de Marchand.

L’autre livre traitant de numérologie bachienne est Bach et le nombre, des Hollandais Van Houten et Kasbergen (1985, 1992 pour la traduction française). Les auteurs donnent d’abord d’excellents arguments appuyant l’hypothèse ancienne des signatures numériques de Bach, puis avancent des thèses plus originales. Ainsi Bach aurait été un adepte des Rose-Croix, ce qui ne correspond guère à son image officielle ; mieux encore, ç’aurait été un être en si totale Harmonie avec le Cosmos qu’il aurait connu très tôt le jour exact de sa mort, le 28 juillet 1750, qui serait récurrent dans sa musique, notamment sous la forme 209 (c’est le 209e jour de l’année).
On peut sourire devant ces allégations, mais certaines analyses des auteurs sont troublantes, notamment la correspondance entre les valeurs gématriques des mots de l’épitaphe de Christian Rosencreutz et les nombres de mesures des Sinfoniae de Bach. Sans détailler, alors que beaucoup d’autres cas semblent forcés, celui-ci révèle bien une coïncidence époustouflante, mais je connais beaucoup de coïncidences non moins époustouflantes qui n’ont aucune intentionnalité.
Le livre contient une analyse globale de la Messe en si mineur, mais s’intéresse d’abord au duo modifié de 80 mesures. Bach est né le 21 mars 1685, soit le 80e jour de l’année, aussi le duo primitif contenant le texte Et incarnatus est s’appliquerait selon les auteurs à la naissance de Bach. Le duo modifié et le nouveau Et incarnatus est totalisent 129 mesures, ce qui d’une part correspondrait à la valeur du mot sepulchrum, « tombeau », un des mots de l’épitaphe de Christian Rosencreutz, d’autre part s’additionnerait au duo primitif pour donner 209, la mort de Bach.
Les auteurs s’attachent ici au manuscrit autographe de la Messe, où Bach a inséré une feuille avec le nouveau Et incarnatus est et réécrit à la fin du Credo les parties vocales du duo, adaptées au texte réduit. Ceci est tout à fait compréhensible, sinon Bach aurait dû recopier tout le Credo, mais les auteurs y voient une manœuvre tortueuse. Le manuscrit en l’état reflèterait l’exact désir de Bach, ainsi il faudrait comptabiliser deux fois les 80 mesures du duo, et procéder à quelques autres opérations en fonction de soi-disant anomalies du manuscrit. A ces conditions, les auteurs parviennent à une architecture globale de la Messe tout à fait prodigieuse, mais ce n’est pas parce qu’elle est « en si » que les désirs deviennent réalités, et cette merveilleuse construction doit évidemment bien plus à Mrs Van Houten et Kasberger qu’à Bach.

Le nombre d’or ne faisait pas partie de leurs préoccupations numérologiques, sinon peut-être auraient-ils vu à quel point le schéma doré du Credo vu plus haut pouvait conforter leurs thèses. Je m’y essaye ici à titre informel, sans prétendre « prouver » quoi que ce soit.
La première relation, 209 = 129+80, offre donc les dates de Bach telles qu’ils les jugent exprimées par celui-ci, faisant découvrir que la naissance, 80, représente la petite section d’or de la mort, 209.
La seconde relation, 377 = 233+144, peut s’appliquer au nom de Bach, car 377 est le 14e terme de la suite de Fibonacci (BACH = 14), et sa petite section d’or correspond à ses prénoms (JOHANN SEBASTIAN = 144).
La dernière relation, 251 = 155+96, peut s’appliquer au supposé fondateur des Rose-Croix, mais une petite mise au point est nécessaire :
– Van Houten considère que Bach utilisait un alphabet numérique de 24 lettres (avec i et j confondus d’une part, u et v d’autre part) où CHRISTIAN = 97 et ROSENCREUTZ = 155 ;
– attendu que beaucoup de relations concernent des mots latins, on pourrait considérer également l’utilisation de l’alphabet latin de 23 lettres (où w n’existe pas) ; seuls les mots contenant les lettres wxyz ont des valeurs différentes, ainsi ROSENCREUTZ = 154, et Christian Rosencreutz = 251.
Il est possible d’adapter chaque hypothèse à la situation, en remarquant que dans les deux cas les nom et prénom du personnage ont des valeurs proches du rapport d’or optimal apparaissant dans la dernière pièce. Je rappelle que la coupure à 155 mesures n’est qu’une possibilité, parmi d’autres dont les plus immédiates peuvent aussi trouver une signification « rosicrucienne » :
– un premier changement de tempo apparaît après la mesure 120, or la tombe de Rosencreutz aurait été découverte en 1604, 120 ans après sa mort en 1484 (post CXX annos patebo) ;
– l’autre changement de tempo intervient après la mesure 146, or 146 ans séparent 1604 de la mort de Bach en 1750.

Je n’insiste pas trop sur ces pistes car, à mon humble avis, Bach n’avait pas grand chose à faire de Rosencreutz, et encore moins de la valeur de son nom, mais la poursuite du jeu dans d’autres directions amène d’autres découvertes.
Les deux premières relations du Credo, 129/80 et 233/144, sont de même type (chœurs/aria), et telles qu’on peut en définir une relation moyenne, 181/112 (181 moitié de 129+233 et 112 moitié de 80+144).
J’ai déjà rencontré ces nombres, sans imaginer de rapport d’or entre eux. Ce sont les valeurs des mots IESVS NAZARENVS d’une part, CHRISTVS de l’autre, selon les rangs des 23 lettres de l’alphabet latin.
Selon les Evangiles, IESVS NAZARENVS, « Jésus le nazaréen », est la première partie de l’inscription en trois langues sur l’écriteau cloué au-dessus de la croix du Christ, suivie de l’ironique REX IVDAEORVM, « roi des Juifs ».
Le Credo est centré sur le Crucifixus, ainsi ces mots seraient bien venus ici, et on pourrait tirer quelque chose de ce Christus-Iesus Nazarenus face à la dernière relation, Christian-Rosencreutz.
Ce qui mène à une autre curiosité, la dernière relation, 155/96, correspond elle-même à une moyenne entre la première relation, 129/80, et la moyenne des deux premières relations, 181/112, mais je propose d’oublier les étapes intermédiaires ayant abouti à cette découverte pour l’examiner sous un autre angle.
Les trois parties du Credo distinguées à partir de la composition musicale du mouvement correspondent aussi à trois parties bien distinctes de la prière dans le culte :
– la première partie (209 mesures) se récite debout ;
– on s’agenouille à partir de Et incarnatus est (377 mesures) ;
– la dernière partie (251 mesures) est introduite par un nouveau verbe, Confiteor, tandis que tout ce qui précède dépend du Credo initial.
Il y a donc une relation entre ces trois nombres 209-251-377, séparés par les intervalles 42 et 126, soit 3 fois 42. Dans la plupart des cas, cette relation pourrait sembler moins chargée de sens qu’une harmonie plus immédiate, offrant par exemple des intervalles égaux (1-1), au lieu de ces intervalles 1-3.
 Mais précisément le Credo est l’affirmation du mystère de la Trinité :
Je Crois en un seul Dieu,
        le Père tout-puissant…
        et Jésus son fils unique…
        et le Saint-Esprit…
Et ce sont les 251 mesures du Confiteor, sorte d’annexe du Credo, qui pourraient marquer ce point crucial au quart des 168 mesures d’intervalle entre les deux parties du Credo proprement dit.

Selon la division de la Messe en quatre mouvements établie par Bach, le Credo, second mouvement, est suivie par le Sanctus, composé d’une seule pièce, en 168 mesures, précisément.
Saint, Saint, Saint…, ce verset d’Isaïe a séduit l’Eglise par son caractère trinitaire, et le Sanctus a donc aussi un lien immédiat avec le mystère de la Trinité. Le nombre d’or, ou la Divine Proportion de Luca Pacioli (1509), a été lié à ce mystère : « De même qu’en Dieu une seule substance réside en trois personnes, de même il convient qu’une même proportion se retrouve toujours entre trois termes. » Ce n’est pas très clair, mais le mystère de la Trinité n’est pas non plus limpide…
Les 168 mesures du Sanctus admettent divers points de partage. Si les possibilités 42-126 ou 126-42 n’apparaissent pas, en revanche le partage doré optimal 104-64 est tout à fait possible (silence de la plupart des voix à la mesure 105 ; après 26 mesures d’absence, retour de la trompette pour un long trille). Marchand n’a pas noté cette possibilité car la pièce, marquée par un changement de notation à la mesure 48, ne peut l’intéresser.
Ce changement de notation non séparé par une barre de mesure permet aux Hollandais de prétendre que le Sanctus n’a que 167 mesures, pour faire apparaître un nombre « rosicrucien », mais ils n’ont pas vu une autre conséquence. Credo et Sanctus réunis auraient ainsi 1004 mesures, soit exactement 4 fois 251, nombre de mesures du Confiteor. La relation demeure presque exacte avec les vraies 168 mesures du Sanctus, et il est remarquable que le Confiteor détermine deux relations 3-1 sans rapport immédiat entre elles, car la première relation, qui en nommant les trois parties du Credo A, B, C,
s’écrirait C = A + (B – A)/4,
n’implique nullement que C = 2B/3.
La double relation trinitaire autour de 251 vient des égalités presque parfaites, à une fraction d’unité près, obtenues avec les parties du Credo et du Sanctus :
209 = 5/6 de 251
377 = 3/2 de 251
377 – 209 = 168 = 2/3 de 251

Pour résumer, le Confiteor souligne un partage en 1+3 de l’intervalle entre les deux parties trinitaires du Credo, faisant ressortir le nombre 42 en tant qu’unité de ce partage trinitaire, 42 étant un multiple de 3, soit 3 fois 14.
Le Confiteor apparaît aussi comme unité presque parfaite face à la Trinité que représenteraient les deux parties trinitaires du Credo et le Sanctus non moins trinitaire.
Des relations d’or optimales, directes ou indirectes (pour le Confiteor et le Sanctus), sont décelables dans chacune de ces parties, en conséquence ces harmonies 1+3 sont toujours présents pour les sections d’or majeure et mineure de ces parties. Notamment l’équilibre est exact pour les petites sections :
80 + 144 + 64 = 288 = 3 x 96
L’harmonie d’ensemble fait apparaître le double du 14e terme de la suite de Fibonacci :
209 + 377 + 168 = 754 = 2 x 377 = 3 x 251 + 1
La relation d’or est toujours présente dans les 42 mesures de différence entre la première partie du Credo et le Confiteor,
155 – 129 = 26
96 – 80 = 16
or 42 est le double du 8e terme de la suite de Fibonacci, d’où
42 = 2 (13 + 8)  ou B (AC + H) en lettres équivalentes.

Je vais m’en tenir là, sans explorer d’autres interprétations gématriques ou les autres mouvements de la Messe. Voilà donc quelques faits, mais je crois utile de rappeler que cette merveilleuse harmonie est entièrement dépendante de l’ajout ultime du Et incarnatus est. Faut-il pour autant considérer que les brouillons de la Messe sont plus importants que son état final ?
Si le sujet du nombre d’or chez Bach ouvre des pistes, témoins le livre de Marchand ou mes autres pages, certains points se situant si évidemment hors de toute intentionnalité me font pencher pour l’hypothèse d’une accumulation de coïncidences, dont la formidable convergence est évidemment plus qu’intrigante, mais l’hypothèse d’un Bach doré n’éluderait pas ce problème.
Si les mystères de ces temps lointains ont peu de chance d’être jamais percés, je connais d’autres réseaux de coïncidences qu’il est impossible de relier à une quelconque intentionnalité, comme ce cas évoqué ici, qui présente quelques points communs avec cette affaire. L’Oulipien Paul Braffort a écrit plus récemment une série de 20 poèmes obéissant à une contrainte dépendant de la suite de Fibonacci, Mes Hypertropes. Bach apparaît dans le 14e vers du premier poème, et dans le 14e poème (et nulle part ailleurs). L’ensemble des 20 poèmes compte 377 vers, 14e nombre de Fibonacci, avec diverses possibilités de répartition intéressante des poèmes… Mais Braffort assure qu’il n’a visé aucun nombre total de vers, et que Bach n’est apparu dans l’affaire qu’en contrepoint au mathématicien Banach, sans aucune intention par rapport au nombre 14.

Le 18 mars 04, Rémi Schulz


mercredi 27 septembre 2017

Du 37e degré à la 97e seconde


  Lundi 27 juin 2005, le hasard de mes déambulations dans la Bibliothèque Municipale de Digne m’a fait tomber sur 37e parallèle de Colette Lovinger-Richard, un polar publié en avril 2003 que je n’avais jamais vu, ce que je peux affirmer tant ce titre m’est immédiatement évocateur.

  Le 37e parallèle, c’est évidemment celui que fait parcourir Jules Verne à ses Enfants du capitaine Grant : le capitaine a confié les coordonnées de son naufrage à une bouteille à la mer, mais seule la latitude apparaît sur le message, rongé par l’eau de mer. D’autres éléments corrompus du message font envisager tour à tour trois possibilités, la Patagonie, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, mais les recherches successives sont inopérantes, et c’est finalement un hasard qui permet de retrouver le 7 mars 1865 le capitaine Grant à l’île Tabor, de longitude 153° Ouest.

  37e parallèle est divisé en trois parties, comme les Enfants du capitaine Grant :

La bouteille à la mer, en 6 chapitres ;

Recherches, en 15 chapitres ;

L’île Tabor, en 3 chapitres.

  Une des premières choses que je regarde en abordant un livre est sa structure, et je remarque aussitôt que les nombres de chapitres de chaque partie sont divisibles par 3.
  Ce ne semble pas être un hasard. Le capitaine est ici un commissaire, Fersac, le plus fameux flic de France, trouvé mort d’un coup de son arme de service. On a conclu à un accident, mais il pourrait s’agir d’un suicide, ou d’un meurtre… Fersac avait deux fils, Alain et Francis, 39 et 35 ans, et il a laissé à Francis une lettre lui indiquant qu’il avait reçu des menaces, et qu’au cas où il lui arriverait quelque chose, il faudrait peut-être chercher du côté de trois affaires qui lui avaient laissé un sentiment de doute.

  Ce document est donné à la fin du 3e chapitre de La bouteille à la mer, suivi de 3 chapitres consacrés aux dossiers des 3 affaires en cause. Ceci fait apparaître un nouveau 3 et m’évoque deux constatations antérieures :
– La structure de 37e parallèle est identique à celle d’un roman d’Agatha Christie, Cinq petits cochons, également consacré à la réouverture d’une vieille affaire et également divisé en 3 parties. Ce sont ici les 5 suspects qui semblent déterminer la répartition des chapitres, ainsi la première partie débute par des chapitres introductifs, au nombre de 5 sans nécessité aucune, suivis de 5 chapitres consacrés aux rencontres de Poirot avec les 5 suspects. La seconde partie est constituée par leurs 5 témoignages circonstanciés. La dernière partie est encore composée de 5 chapitres, sans nécessité évidente.

– Il me semble avoir repéré une volonté structurale non seulement dans Les Enfants du capitaine Grant, mais dans les deux autres romans de la trilogie de Verne. Il y a 3 parties de 26-22-22 chapitres dans les Enfants, mais les 4 premiers chapitres sont consacrés à la découverte de la bouteille et à l’organisation de l’expédition de sauvetage qui ne prend la mer qu’au début du 5e chapitre. Ce pourrait donc être une sorte de prologue laissant 22 chapitres pour chaque partie explorant une hypothèse de recherche.

  Cette théorie me semble confortée par le fait qu’une structure absolument identique se retrouve aussi bien dans 20 000 lieues sous les mers que dans L’Île mystérieuse, et que d’autres romans de Verne semblent marqués par d’autres recherches architecturales, comme Mathias Sandorf structuré en 5 parties de 9-8-7-6-5 chapitres. Je m’en tiens là, car peu importent ici les réelles intentions de Verne, l’essentiel étant que ces lectures sont envisageables par tout lecteur attentif. Je les mentionne dans une étude en ligne depuis deux ans.
  Bien plus litigieux est un autre point que j’avais soulevé sur une liste littéraire le 7/6/02. Le périple sur le 37e parallèle aboutit un 7 mars, qui s’écrit à l’anglaise le 3/7. Je n’ai aucune certitude sur l’intention de cette correspondance, je remarque néanmoins que la latitude exacte du lieu recherché est 37° 11’, et que c’est un 3/7 à 11 h du soir que les enfants du capitaine Grant entendent la voix de leur père disparu, alors que leur navire mouille par hasard devant l’île Tabor, de latitude 37° 11’ (et de longitude 153°).

  Je reviens à 37e parallèle pour souligner sa parfaite correspondance structurale avec Cinq petits cochons, que l’auteur n’avait nul besoin de connaître, tant les préoccupations structurales peuvent amener à des résultats voisins. Il n’y avait ainsi aucune obligation que chacune des parties de 37e parallèle ait un nombre de chapitres multiple de 3, bien que ce nombre structure partiellement les deux premières parties. J’ai déjà signalé les 3+3 chapitres de La bouteille à la mer, répondant exactement aux 5+5 chapitres de la première partie de Cinq petits cochons, et j’ajoute maintenant que ces subdivisions sont fort proches de ce que j’ai observé pour les premières parties de certains romans de Verne, notamment du Capitaine Grant, où la première partie serait couplée à un « prologue ».
  La seconde partie de 37e parallèle débute par deux séries de chapitres alternant régulièrement les 3 affaires concernées, mais cette régularité disparaît ensuite et ce n’est semble-t-il que « par hasard » que le nombre de chapitres de cette partie, 15, est multiple de 3.
  S’il y a 3 parties dans 37e parallèle comme dans le Capitaine Grant, leurs structures ne sont pas superposables, et La bouteille à la mer correspond aux 4 chapitres du « prologue » de Grant, les 15 chapitres de Recherches à la quasi-totalité du roman de Verne, et les 3 chapitres de L’île Tabor à la fin de la dernière partie de Grant, où ce dénouement à l’île Tabor occupe d’ailleurs aussi 3 chapitres.

  Ces 15+3 chapitres pourraient précisément énoncer le nombre 153, la longitude inconnue du lieu du naufrage du capitaine Grant, le nombre essentiel dont les trois chiffres ont été effacés sur le message trouvé dans la bouteille.

  Je ne suis pas sûr du tout que Colette Lovinger-Richard ait pensé à cette combinaison, mais je trouve d’autres éléments qui semblent significatifs. Ainsi j’ai évoqué plus haut le 7 mars de Verne, se lisant le 3/7 à l’anglaise, or il y a deux dates essentielles dans 37e parallèle, le 15/3 et le 15/9.

  Les 3 affaires que réétudie le fils du commissaire Fersac sont respectivement :

– L’affaire Oliveira : il y a 13 ans a été assassiné le notaire Antoine Oliveira, un mercredi 15 septembre. Les principaux suspects sont ses enfant Bruno et Madeleine, 17 et 25 ans, qui ont chacun un alibi, mais l’amie de Madeleine se rétracte, Madeleine est condamnée pour le meurtre de son père, et meurt l’année suivante d’un cancer foudroyant. Fersac fils découvre que c’est en fait Bruno qui a tué par accident au cours d’une dispute avec un père tyrannique, et que Madeleine, se sachant condamnée, s’est sacrifiée.

– L’affaire Turpin : il y a 8 ans a été assassinée la femme de Roger Turpin, un samedi 15 mars. Son mari est le seul suspect, il prétend avoir échangé quelques mots avec une automobiliste loin de là à l’heure du crime, mais ce témoin providentiel ne peut être retrouvé. Fersac fils découvre que Turpin avait comploté un faux alibi avec une maîtresse, mais celle-ci est devenue amnésique après un accident malencontreux !

– L’affaire Mermeur : il y a 5 ans a été assassinée une prostituée, à une date non précisée. Je n’ai pas vraiment compris quelle signification cette affaire avait par rapport ni aux deux premières ni à la mort de Fersac, qui n’est pas non plus datée.

  Un évident schéma d’inversion apparaît entre les deux premières affaires, un vrai alibi démoli à l’instigation de l’innocente, un faux alibi préparé par le coupable, mais qui ne peut être confirmé. A cette réciprocité s’ajoute le fait que les dates des meurtres, les 15/3 et 15/9, sont des dates exactement opposées sur le cercle de l’année, et ce fait pourrait être souligné par une réelle curiosité qui témoigne au moins d’intentions tortueuses de l’auteur, quelles qu’elles aient été.

  La fin du livre montre le fils Fersac reprendre les Enfants du capitaine Grant qu’il avait abandonnés dans sa jeunesse à la page 818, au moment où les enfants retrouvent leur père. Il est alors donné un long paragraphe en italiques, présenté comme le texte original de Verne, or il n’en est rien. Si le paragraphe résume bien les circonstances des retrouvailles, on y lit « une voûte céleste où luisent des étoiles qui ne brillent que dans l’hémisphère sud », or ni ces mots, ni même cette idée, ne sont présents ni dans ce passage, ni même ailleurs dans le livre de Verne. Cette idée rappelle que tout est différent dans l’hémisphère sud, où notamment le 15/3 correspond à notre 15/9, et réciproquement.

  J’ai donc une enquête en 15+3 chapitres, portant sur un meurtre commis le 15/3, et sur un autre le 15/9, opposé au 15/3, mais un autre aspect du 15/9 mérite attention, car c’est l’anniversaire d’Agatha Christie, née le 15 septembre 1892. J’avais déjà remarqué à ma première lecture de Cinq petits cochons que le meurtre y était commis un 18 septembre ; il est rarement indifférent qu’un auteur fasse apparaître une date anniversaire, mais peut-on appliquer ce principe aux dates avoisinantes ? En l’occurrence ce 18 serait alors un 15+3… Je n’imagine évidemment pas un quelconque rapport avec la longitude de l’île Tabor, mais je remarque une coïncidence complémentaire : Cinq petits cochons se passe à Alderbury, « cité de l’aulne », or le « verne » est un autre nom de l’aulne.
  Dans Cinq petits cochons, une femme s’est laissée condamner pour le meurtre de son mari, un 18/9 il y a 12 ans, parce qu’elle pensait que sa petite sœur était coupable.

  Dans l’affaire Oliveira, Madeleine a conduit les enquêteurs à l’accuser du meurtre de son père, un 15/9 il y a 13 ans, pour sauver son petit frère effectivement coupable.

  Toutes deux sont mortes en prison.


  L’affaire Oliveira occupe 8 des 15 chapitres de Recherches. Seuls 3 chapitres sont consacrés à l’affaire Turpin, au nom pouvant évoquer les seuls démêlés de Verne avec la Justice (Eugène Turpin lui a intenté un procès en 1896, s’étant reconnu dans le personnage du savant fou Thomas Roch de Face au drapeau), mais elle a immensément plus de chances de faire penser le lecteur d’aujourd’hui à la récente affaire Turquin : le docteur Turquin est en prison depuis de longues années pour le meurtre de son fils, alors qu’il n’existe aucune preuve ni de la mort du fils, ni de l’implication du père dans sa disparition.

  Ce père qui aurait tué son fils (selon la Justice) illustrerait encore la réciprocité des affaires Oliveira-Turpin, et c’est bien l’affaire Oliveira qui semble receler la clé de la mort de Fersac. Le fils Fersac découvre dans L’île Tabor que son père était arrivé aux mêmes résultats que lui pour ces trois affaires qu’il prétendait litigieuses, et qu’il n’avait incité son fils à enquêter que pour l’amener à constater que lui, Fersac, avait fait les bons choix en ne divulguant pas certains aspects de ces affaires.

  C’est l’autre fils Fersac qui a tué son père, au cours d’une confrontation analogue à celle qui a opposé le tyrannique Oliveira à son fils, mais ici le diabolique Fersac a délibérément prémédité son propre assassinat pour punir ses deux fils, l’aîné pour l’accabler du remords de son acte, le cadet pour l’obliger à trahir son credo envers la Vérité, pour couvrir son frère, comme Madeleine Oliveira a renoncé à son honneur pour sauver son propre frère.
  La clé de 37e parallèle réside donc entre les deux frères Fersac, et je constate que la moyenne de leurs âges est de 37 ans. Je ne sais si c’est voulu, pas plus que la moyenne des âges des enfants Oliveira lors du drame, 21 ans (3 x 7).


  Voilà donc ce qu’il en est des commentaires raisonnables sur 37e parallèle, encore que je n’imagine guère que l’auteur ait été conscient de toutes ces possibilités.
  J’imagine encore moins que madame Lovinger-Richard ait situé les trois affaires Mermeur-Turpin-Oliveira 5, 8, et 13 ans avant la mort de Fersac parce que ces nombres appartiennent à la suite de Fibonacci, et pas une seule seconde qu’elle ait eu idée de l’importance que ces trois nombres prendraient pour moi, parce que leurs chiffres peuvent se réarranger en 51,83, l’angle d’or.

  J’ai découvert ce roman plus de deux ans après sa parution, alors que la connaissance de son seul titre m’aurait été suffisante pour l’acheter immédiatement, alors qu’il m’arrive de sortir de mon trou et de regarder attentivement les rayons polar des grandes librairies. Quelques mois plus tôt cette série 5-8-13 ne m’aurait pas particulièrement frappé.

  C’est un 27 juin que j’ai découvert et lu ce roman, or l’énigme du lieu du naufrage du capitaine Grant est liée au jour du naufrage de son navire, le 7, 17 ou 27 juin, ce qui oriente les trois hypothèses de recherche des secouristes. La bonne solution était le 27 juin.

  La veille de ce 27 juin, j’avais trouvé en cherchant tout autre chose un livre que j’avais cherché l’an dernier dans le fouillis qui me tient lieu de bibliothèque, Jugé coupable de Andrew Klavan. Le 4 novembre 2004, j’avais regardé à la TV l’adaptation réalisée par Clint Eastwood de ce roman lu jadis, et que je n’étais pas sûr d’avoir. Un journaliste venu interviewer un condamné à mort le jour de son exécution a des doutes sur sa culpabilité, et doit découvrir in extremis un élément nouveau pour le sauver. Banal, mais mon attention avait été attirée par une orthographe du nom de ce faux coupable donnée par un graffiti, BEACHUM, nom composé de toutes les lettres dont les rangs correspondent aux nombres de Fibonacci, 1-2-3-5-8-13-21, ABCEHMU.

  Mon programme TéléZ donnait le nom Frank Beechum, de même un autre journal, de même le Dictionnaire des films de Tulard… Je me suis demandé quelle était l’orthographe donnée dans le livre, mais je ne l’ai pas retrouvé alors.

  Je n’y accordais qu’une importance fort secondaire, aussi je n’ai pas consacré plus de temps à la question, néanmoins dès la réapparition du livre ce 26/6/5 j’ai aussitôt regardé le nom de l’homme, Beachum, l’orthographe fibonaccienne idéale.


  Cette petite question était donc résolue, mais le lendemain, la conjoncture de la série fibonacienne 5-8-13 de 37e parallèle lui donnait plus d’importance, d’autant que l’affaire Oliveira, la clé du roman, se passait avenue Henri-Martin, aux initiales H-M (8-13) déjà repérées dans une aventure d’Arsène Lupin (contre Herlock Sholmès) ; Boileau-Narcejac ont écrit un pastiche de Lupin intitulé L’affaire Oliveira.

  J’ai donc relu Jugé coupable, en accordant d’abord une certaine attention à sa structure, en 10 parties et 47 chapitres. Les sections d’or entières de ces nombres sont idéalement 6 et 29, et les 6 premières parties du roman totalisent effectivement 29 chapitres. A ce point correspond un climax important : c’est à la fin de cette 6e partie, L’autre type, ou du 29e chapitre, que l’enquêteur apprend le nom du vrai meurtrier, Warren Russel, de race noire.

  Il y a une importante différence entre le roman et son adaptation. Dans le roman Beachum est blanc, et son cas est exemplaire car il est censé démontrer que l’état du Missouri traite un criminel blanc de la même manière qu’un noir, aussi faudra-t-il un motif indiscutable pour décider le gouverneur à surseoir à l’exécution.
  Clint Eastwood a fait de Beachum un noir également. Il serait amusant que le Frank blanc soit Beachum et le Frank noir Beechum, car aux lettres litigieuses, A et E, correspondent selon Rimbaud les couleurs noir et blanc. Si de nombreuses références orthographient Beechum le nom du personnage du film, je ne dispose d’aucun élément démontrant formellement que c’est cette orthographe qui a été choisie dans la version originale du film ; peu importe en fait, puisque c’est d’abord l’existence avérée du dilemme qui souligne l’orthographe Beachum du roman, à la structure parfaitement fibonaccienne pouvant être mise en rapport avec la structure même du roman.


  Rien dans Jugé coupable ne semble concerner explicitement le nombre d’or ou les nombres de Fibonacci, mais un nombre est souligné par le titre de la dernière partie du roman, 97 secondes trop tard.

  L’exécution de Beachum a été fixée au 18 juillet, et est censée se dérouler selon un cérémonial bien rôdé : le condamné est prêt à recevoir l’injection mortelle, à 0 heure un représentant du gouverneur appelle le directeur de la prison pour lui annoncer qu’aucune mesure de grâce n’a été accordée, et le directeur doit donner le signal du départ du processus létal irréversible à 0 heure 1 minute. L’appel est donné à 0 heure mais, incompréhensiblement, le directeur ne donne pas le signal à 0 heure 1 minute ; la grande aiguille de l’horloge murale fait un tour complet, puis en entame un autre… Ce n’est qu’à 0 heure 2 minutes 37 secondes que le directeur se ressaisit, au moment précis où le téléphone sonne à nouveau, c’est le gouverneur qui ordonne de tout arrêter.
  Eastwood a augmenté la tension dramatique de l’épisode en laissant le signal du directeur être immédiatement obéi, et le poison se précipiter vers les veines du condamné. Klavan n’avait pas besoin de ce rebondissement, car son titre 97 secondes trop tard induisait le lecteur à penser que la décision de surseoir à l’exécution serait prise trop tard, ce qui est d’ailleurs bien le cas, mais c’est une belle trouvaille que ce retard concerne aussi le directeur (Le titre original du livre, True crime, permet également plusieurs lectures).

  Aucune réelle explication n’étant donnée de ce retard, le lecteur est orienté vers la providence divine… Du moins la divine proportion est-elle bien présente, car les 157 premières secondes de ce 18 juillet se répartissent en 60 secondes du délai prévu et 97 secondes du providentiel retard. Ces nombres sont en rapport d’or idéal (60/97 = 0.618…), mais une relation hautement improbable apparaît entre les harmonies d’or envisagées.

  Les nombres entiers offrant un rapport d’or idéal appartiennent à des suites de type Fibonacci, suites additives dont chaque terme est la somme des deux termes précédents. Deux termes consécutifs suffisent à définir une suite de ce type, généralement identifiée par ses deux premiers termes. La plus simple de ces suites est la suite de Fibonacci proprement dite, dont les deux premiers termes sont 1 et 1. Ensuite viendrait la suite débutant par 1 et 2, mais c’est encore la suite de Fibonacci, décalée d’un rang (car 1+1 = 2). En laissant de côté la suite débutant par 2 et 2 qui serait la suite de Fibonacci doublée, les trois premières suites, dont les termes de même rang sont les nombres les plus petits, sont celles débutant par 1-1, 1-3, et 1-4, dont voici les premiers termes :

1 1 2 3 5 8 13 21 34 55…

1 3 4 7 11 18 29 47 76 123…

1 4 5 9 14 23 37 60 97 157 …

  L’extraordinaire est donc que les relations rencontrées mettent en jeu des nombres de ces trois séries :
– La série 1-1 avec les lettres de BEACHUM (2-5-1-3-8-21-13).

– La série 1-3 avec les nombres de chapitres ou sections (47 répartis en 29+18 par la découverte de l’autre type).

– La série 1-4 avec les 60+97 secondes du climax final du chapitre 47 dont le premier mot est « Minuit » et dont la dernière seconde (de 0 h 2’ 37’’ à 0 h 2’ 38’’) s’éternise sur trois pages (et il est à souligner que le texte même insiste sur le découpage de ces 97 secondes en un tour complet de cadran, soit 60 secondes, et en 37 secondes supplémentaires).

– Je remarque que ce jour correspondant au chapitre 47 est le 18 juillet, ou 18/7 (7/18 aux USA), s’exprimant par deux nombres de la série 1-3. Par ailleurs le jour à reconstituer pour l’enquêteur est celui du crime, le 4 juillet 6 ans plus tôt, le 4/7 ou 7/4, encore deux nombres de la série 1-3.

– Enfin je rappelle qu’au découpage des 47 chapitres en 29+18 correspond le découpage des 10 parties en 6+4. Ces derniers petits nombres ne seraient guère significatifs en général, mais dans ce cas particulier il se trouve qu’ils appartiennent à l’autre suite envisagée, 2-2-4-6-10 …, ainsi les quatre plus petites séries additives sont bel et bien toutes clairement discernables (mais je répète que ces nombres 4-6-10 sont peu significatifs), et dans chaque cas pour plusieurs motifs, alors que je ne vois pas quelles autres relations numériques pourraient être invoquées, tant les nombres sont discrets dans ce livre, à part le 97 final.

  Je n’imagine donc pas que ces harmonies puissent être intentionnelles, mais du moins apparaissent-elles au sein d’un même roman. La question de l’intentionnalité ne se pose pas pour les résonances entre mes lectures quasi simultanées de 37e parallèle et de Jugé coupable, romans qui n’ont a priori aucune source d’inspiration commune. J’ai évoqué les nombres de Fibonacci 5-8-13 qui m’ont frappé dans les deux livres, en rapport avec le motif 51-83 qui m’obsédait depuis des mois, mais il y a encore cette résonance immédiate pour moi entre 37e parallèle et 97 secondes trop tard, titre de la dernière partie de Jugé coupable.

  J’essaie d’expliquer ailleurs comment 51-83 et 37-97 correspondent à des valeurs de couples prénom-nom que j’ai forgées jadis à partir des lettres ARSENE LUPIN, Irène Lapnus et Inn Alpurèse, sans penser au nombre d’or qui ne me préoccupait guère alors. Le second nom résultait cependant du souci numérologique de faire coïncider cette combinaison avec les valeurs 37-97 des mots DIX-MILLIARDS correspondant à la fortune de Lupin dans le dernier roman de Leblanc. C’est donc une curiosité de trouver ces 97 secondes trop tard, titre d’une DIXième partie dans laquelle le nombre 37 apparaît effectivement. L’affaire Oliveira de 37e parallèle m’évoquait Arsène Lupin à cause du pastiche de Boileau-Narcejac, et à cause de l’avenue Henri-Martin, car un épisode des aventures d’Arsène lui fait avoir été l’architecte du 134 avenue Henri-Martin ; c’est une des trois occurrences explicites du nombre 134 chez Leblanc, valeur d’ARSENE LUPIN.

  Parmi les coïncidences irréductibles il y a encore le fait que le film Jugé coupable a été diffusé le 4 novembre (04), ou 4/11, avec 4 et 11 termes de la suite 1-3-4, alors que l’architecture du livre permet une relation d’or utilisant les nombres de cette suite (47 = 29+18 chapitres) et que les deux dates importantes du livre sont le 4/7 et le 18/7, formées de nombres de cette suite. Je ne sais plus si le film mentionne des dates, mais il est probable qu’il ait conservé le 4 juillet, Fête nationale US commémorant la Déclaration d’Indépendance du 4 juillet 1776 que je suis tenté d’écrire 4/7/76, faisant apparaître la séquence 47-76 qui m’est particulièrement significative et qui m’évoque d’abord PEREC-GEORGES = 47-76, et notamment ses Alphabets, écrits de 74 à 76 (avec 1974 = 47 x 42 et 1976 = 76 x 26), dont je devais découvrir les fabuleuses harmonies dorées 29 ans après cette date idéale de publication en 1976 (29 toujours dans la suite 1-3-4 … 29-47-76), grâce au remue-méninges de l’exploration des pistes 51-83 et 37-97.
  Jugé coupable m’a permis de remarquer que cette année 1976 était le bicentenaire de la Déclaration d’Indépendance, or j’avais remarqué que le motif 7-4 était présent dans la première série de 11 poèmes composée par Perec début 74, alors qu’il ne songeait vraisemblablement nullement à prolonger cet exercice jusqu’à épuisement de l’alphabet. Il n’y a encore ici rien à déduire, je me borne à constater les résonances thématiques et temporelles entre mes diverses découvertes dans des domaines n’ayant a priori rien de commun.

  Un petit truc encore sur Jugé coupable. Le crime est en partie accidentel, provoqué par l’envie du jeune Russel de s’emparer du pendentif en or d’Amy Robertson, marqué de ses initiales AR, pour l’offrir à sa mère Angela Russel aux mêmes initiales.
  Robertson est un nom qui se scinde le plus directement en ROBERT et SON, or ces mots ont pour valeurs 78 et 48, en rapport d’or idéal.
  Russel se scinde en deux syllabes RUS et SEL, or ces syllabes ont pour valeurs 58 et 36, en rapport d’or idéal.
  Les rapports 48/78 et 36/58 se simplifient en 8/13 et 18/29, soit des termes de mêmes rangs des suites 1-1 et 1-3 vues plus haut.
  Le fils (son) du capitaine Harry Grant s’appelle Robert.

  Enfin, je ne suis guère partisan des calculs de probabilité qui n’ont une réelle pertinence que dans des conditions qui doivent être bien précisées, et ce pourrait être le cas de la coïncidence BEACHUM, mot composé des seules 7 lettres de l’alphabet dont le rang est un nombre de Fibonacci.
  La probabilité d’effectuer un tirage de 7 éléments donnés, dans un ordre quelconque, parmi 26, est parfaitement déterminée, elle est d’une chance parmi 657 800. A ce tirage correspondent 5040 combinaisons ordonnées parmi lesquelles fort peu formeront un mot prononçable en anglais.
  Ce calcul n’a pas d’autre prétention que de donner un ordre de grandeur à la coïncidence BEACHUM.

  37e parallèle a été publié chez Viviane Hamy, dont l’auteur phare est Fred Vargas.
  Son roman de 2006, Dans les bois éternels, contient des bizarreries dorées en rapport avec celles que je viens d’étudier, faisant intervenir les mêmes suites 1 1 2 3 et 1 4 5 9.
  Au plus bref, le roman est basé sur trois faits survenus dans le passé du commissaire Adamsberg :

– 34 ans auparavant, âgé de 13 ans, il est suspecté d’avoir fait partie d’une bande de 5 gamins ayant sauvagement agressé un enfant de 8 ans. 5, 8, 13 et 34 sont des nombres de Fibonacci, ainsi que 21 et 89 ; Adamsberg et Veyrenc avaient alors ensemble 8+13 = 21 ans, 34 ans plus tard ils ont 42+47 = 89 ans.
– 23 ans auparavant, Adamsberg a participé à une enquête avec la légiste Ariane Lagarde qui a maintenant 60 ans, âge crucial dans l’intrigue. Elle avait alors 37 ans, et 23-37-60 appartiennent à la suite d’or 1 4 5 9… qui se poursuit par les 97 secondes de Jugé coupable.

– Un lecteur chevronné se soucie peu de la troisième affaire, une redoutable tueuse de 73 ans lors de son arrestation 2 ans plus tôt par Adamsberg, évadée et présentée comme évidente suspecte des meurtres actuels. Je ne comptais pas en parler avant de calculer qu’il aurait eu alors 45 ans, soit la section d’or de 73, des nombres de la suite d’or qui suit la précédente, 1 5 6 11…

  Voilà. Je n’invente rien. Les deux fausses pistes du roman désignent des suspects dont l’âge était au moment des incidents en rapport d’or avec celui d’Adamsberg. La vraie coupable Ariane passe à l’acte sans se soucier de l’âge du commissaire qui l’a humiliée à la section d’or de sa vie, à moins que... Si les âges 8, 13, 37, 60, 73, 75 ans et les périodes de 2, 23 et 34 ans sont précisées explicitement, les incidents ne sont pas datés plus précisément et les dates de naissance des personnages ne sont pas données, ainsi il est possible que Adamsberg ait eu 23 ans légaux lors de sa rencontre avec Ariane âgée de 37 ans…
  Je n’insiste pas parce qu’il me semble que, si Vargas avait fait ces calculs, la moindre des choses aurait été de donner quelques précisions levant les incertitudes. Je me borne donc à constater ces possibilités de lecture numérique, ainsi que leurs résonances avec les trois affaires de 37e parallèle.

  Il pourrait y avoir aussi des échos littéraires, ainsi l’affaire Oliveira avenue Henri-Martin m’évoquait doublement Arsène Lupin ; il apparaît chez Vargas une folle nommée Hermance, le rare prénom de la folle homicide des Huit coups de l’horloge, obsédée par la lettre H et par le nombre 8. « Hermance s’endort à vingt-deux heures comme une horloge », écrit Vargas page 178. J’ai émis jadis l’hypothèse de constructions par Leblanc autour des lettres H-V et des nombres 8-22, les deux seuls cardinaux débutant par la lettre ordinale correspondante, aussi je trouve fabuleux de trouver chez Viviane Hamy un roman de Vargas montrant une Hermance se couchant à 22 heures ; par ailleurs sa criminelle non moins folle sera convaincue de 8 meurtres.

  Il n’est pas impossible que Vargas ait donné les âges de 8 et 13 ans pour faire allusion à 813, l’association des amis de la littérature policière dont elle est membre (et son roman a d’ailleurs obtenu le Trophée 813 du meilleur roman français en 2006). L’association a emprunté son nom au roman homonyme de Maurice Leblanc, où l’énigmatique « 813 » est lié au secret d’une autre horloge.

  Ce qui suivait dans cette page publiée d'abord en 2005 a depuis été démenti car, malgré quelques contradictions, Dans les bois éternels se passe plutôt en 2004 qu'en 2005, ce qui offre d'autres perspectives remarquables étudiées ici, mais voici donc mes considérations de 2005.
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  Cette piste 813 peut mener à une autre fantastique coïncidence, qui n’a aucune chance de se révéler intentionnelle, dans son aspect 813 du moins.
  2005 a été la première année depuis 1932 où le jour traditionnel de l'Annonciation, le 25 mars, a coïncidé avec le Vendredi saint (mais selon des dispositions particulières propres au catholicisme romain, récusées par les traditionalistes, l'Annonciation a été déplacée en 2005 au 4 avril).
  En avril 2005 s’est marié à l’église un ami oulipien, et il m’est venu d’utiliser ce fait pour ma contribution à l’hommage organisé par la liste Oulipo. J’admire les poèmes figurés de Raban Maur, en latin, et j’avais depuis longtemps envie d’en tenter une imitation en français. L’une des figures de Raban Maur est un poème de 35 vers de 35 lettres dans lequel il a inscrit 4 croix de 69 lettres, porteuses de vers indépendants, dont les 276 lettres font allusion aux 276 jours passés par Jésus dans le ventre de Marie, du 25 mars de l’Annonciation au 25 décembre.
  33 alexandrins de 33 lettres me semblaient mieux convenir en français, et le carré de 33x33 se répartissait en 276 lettres pour les croix et 813 pour le reste, ce qui m’enchanta, surtout lorsque je découvris ensuite que :

– une date envisagée pour la composition du recueil de Raban Maur était l'an 813 ;

– en l'an 813 l'Annonciation tombait également un Vendredi saint.
  J’ai mis en ligne ce poème après le mariage, en mai 2005, un an avant la parution de Dans les bois éternels, mais je suppose que Vargas était alors déjà bien avancée dans l’écriture de son roman biennal.

  Le millésime où se passe Dans les bois éternels n’est pas donné, mais l’action colle de très près à l’actualité, et si l’on prend pour argent comptant la seule date où le jour est précisé, le lundi 4 avril (page 278), l’année ne peut logiquement être que 2005 (un autre détail est « 69 ans après la guerre d'Espagne »).
  Le 4 avril 2005 était le jour de l’Annonciation catholique, remarquable puisque c’est sans doute la première fois que cette fête n’a pas eu lieu le 25 mars, fête commémorant la visite de l’archange à la Vierge… Or il est question de vierges dans le roman de Vargas, de vierges d’un coin de l’Eure menacées par un tueur, et c’est ce 4 avril qu’est établie une liste de 29 vierges susceptibles de correspondre à ses désirs.
  Cinq dates seulement sont mentionnées dans le roman, et l’une d’elles est précisément le 25 mars (page 265) où se tient le « Concile » consacré à l'Affaire. Ce Concile est dit être le terme employé dans l’équipe d’Adamsberg pour une réunion de mise au point, mais je crois que c’est la première fois qu’il apparaît dans la série des enquêtes du commissaire.
  C’est ce 25 mars, jour normal de l’Annonciation donc, qu’Adamsberg émet l’hypothèse que la virginité des victimes serait un critère de choix essentiel pour le tueur.
  Si nous sommes en 2005, ce 25 mars est aussi le Vendredi saint, commémorant la crucifixion du Christ, et ce 25 mars est aussi émise l’hypothèse que « la croix qui vit dans le bois éternel », selon le grimoire soumis à la sagacité des enquêteurs, serait une relique de la Croix du Christ…

  Les autres dates pourraient ne pas être purement anecdotiques :

– le 21 mars (page 71) est donné explicitement parce qu'il s'agit du début du printemps, honoré par Adamsberg ;

– les 3 et 6 mai (pages 379 et 412) permettent de déduire que l'assassin a été arrêté le 5 mai, qui était en 2005 le jeudi de l'Ascension…

  Il faudrait encore examiner l’étrange incident du lieutenant Noël (= Jésus ?), complication peut-être superflue dans ce roman déjà touffu, en rappelant que le prénom d’Adamsberg est Jean-Baptiste, mais il y a déjà suffisamment de questions posées par les faits précédents pour éviter de se perdre dans des considérations secondaires, surtout que quelques mots de Vargas suffiraient pour confirmer (ou infirmer) que son roman a quelque chose à voir avec la particularité de l’Annonciation en 2005.
  Quoi qu’il en ait été de ses intentions, il me paraît tout à fait impossible qu’elle ait été jusqu’à faire le lien avec la même particularité en l’an 813, à moins qu’elle n’ait connu mes considérations sur la question accompagnant le poème mentionné plus haut.
  Néanmoins la Vierge choisie par le tueur semble bien donner lieu à un jeu en rapport avec 813, l’association du moins, un de ses traits essentiels étant de se distraire en regardant chaque soir deux cassettes choisies parmi les 812 films de sa collection (pages 286-7). Il est difficile de croire que ce nombre soit apparu par hasard sous la plume d’un membre de 813 (l’association ne peut avoir par statut que 812 membres actifs, car son numéro 1 reste acquis à son fondateur décédé Michel Lebrun).

samedi 19 août 2017

20 ans après



1920: publication du livre L'île aux 30 cercueils, paru en feuilleton en 1919, où Leblanc semble le premier à imaginer une série de crimes commandée par un texte préexistant. Le criminel est ALEXIS VORSKI, dans le nom duquel se trouvent les lettres  LIVRE (+SIX OAKS, et 4 victimes sont crucifiées sur des chênes).

fin 1939 (novembre): publication à Londres de Dix petits Nègres, où Christie rend visiblement hommage à Leblanc, la série de 10 morts à l'île du Nègre, calquée sur la comptine des Nègres, étant précédée par l'assassinat de Morris sur le continent (et les 10 victimes ont été choisies car jugées responsables de 30 morts en tout).
1940: la parution aux USA du roman, sous un nouveau titre, contrecarre la publication du dernier Queen, lui aussi basé sur des assassinats calquant les comptines de Mother Goose.

1960: Monsieur Cauchemar, où Siniac (alors Signac) semble désigner comme l'étrangleur le bouquiniste ESBIROL, soit LIBROS (+E), auteur du Secret de l'étrangleur, où il a imaginé jadis une série de crimes analogue à celle qui se déroule du dimanche 30 janvier au jeudi 3 février. Voici les noms des victimes, mais il faut attendre le livre de Peeters en 1980 pour donner du sens aux lettres soulignées  :
  MALINGUET le 30/1
  GOUVERNEUR (LE) le 31/1
 JAVARD     le 1/2 
 BLEUET     le 2/2 
BERGEL      prévu le 3/2 par l'étrangleur qui est en fait
DIEUBATTU   qui est en fait tué par Esbirol, avec Francinet et les flics témoins.
La fin n'est pas très claire, surtout que Signac en propose 3. Le vrai étrangleur était Dieubattu, ancien ami d'Esbirol.

1980: les 3 premiers livres de Pierre Signac n'avaient guère attiré l'attention à la fin des années 50, mais en 80 Siniac s'est fait un nom et Monsieur Cauchemar est alors réédité sous ce pseudo définitif aux éditions Néo , tandis que paraît La Bibliothèque de Villers, de Peeters, où une mystérieuse série de crimes frappe la ville de Villers, tous les 25 jours. Après les 4 premiers meurtres, on soupçonne fortement le bibliothécaire Lessing, lequel prépare un roman décrivant une série de crimes similaires, imputée à un certain Rivelle, mais Lessing est assassiné à son tour, complétant significativement la série des victimes :
IVAN     IMBERT
VIRGINIE VERLEY
RENE     ROUSSEL
EDITH    ERVIL
ALBERT   LESSING assassin supposé, dernière victime
La fin n'est encore guère représentative du polar traditionnel, et c'est au lecteur qu'il appartient de découvrir que l'assassin est le LIVRE (ou LE LIVRE anagramme de RIVELLE). Les prénoms et noms des 4 premières victimes donnent la séquence IVRE, le L initial étant donné par Lessing, l'initiale A de son prénom ne devant encore rien au hasard : elle indique qu'il est le départ comme l'aboutissement de la série.
Il est hallucinant de retrouver la séquence IV-RE-LA dans l'ordre, parmi les 5-6 victimes de Monsieur Cauchemar. Ce n'est certes pas aussi immédiat que chez Peeters, où l'intentionnalité est assurée: il faut prendre les 4es lettres des deux premiers noms, les 5es des deux suivants, et les 6es des deux derniers, ce qui présente tout de même une certaine logique, d'autant que chacune de ces paires a sa spécificité dans le récit. Il est frappant que ce soient les 4es lettres de la première paire qui donnent IV (4 en chiffres romains, tandis que les 4 premières victimes tuées aux 4 coins de Villers pouvaient former l’acrostiche vier, « quatre » en flamand, seconde langue de Peeters), et que la dernière victime variable permette l'alternative AL effective chez Peeters. Enfin Esbirol est comme Lessing non seulement quelqu'un qui s'occupe de livres, mais qui se mêle d'en écrire. "Tu vois, moi aussi, j'ai des lettres !" dit Esbirol au jeune Francinet, ce qui pourrait être une allusion aux lettres de son nom pouvant former le mot LIBRO(S), comme tous les noms propres de La Bibliothèque de Villers ont quelque chose à voir avec le mot LIVRE.
Le court roman de Peeters parodie Dix petits Nègres, notamment par des allusions répétées au noir (de l’écrit) et au blanc (de la page). Cette même année 80 a vu la parution d'une autre parodie littéraire de Dix petits Nègres, utilisant notamment les allusions noir/blanc, Comptine des Height de Lahougue. La coïncidence a alors été remarquée, mais j'en ai vu une qui me semble bien plus remarquable entre l'œuvre de Lahougue, suite de crimes dans la famille Height faussement attribuée au jeune John Height qui, arrêté, se suicide en prison, et le roman de Queen qui a remplacé celui de 40 dont la parution a été retardée à 43 du fait de sa ressemblance avec Dix petits Nègres : dans La Ville maudite, paru en 42, deux crimes dans la famille Haight sont attribués faussement au jeune Jim Haight qui, arrêté, se suicide en prison. Jean Lahougue m'a certifié ne pas avoir lu ce livre, ce qu'il est plus facile de croire quand on sait que John Height est la version anglaise de son propre nom.

2000: Borges et les orangs-outangs éternels, du brésilien L. Verissimo. Les crimes du roman de Peeters ont une distribution géométrique parodiant la célèbre nouvelle La Mort et la boussole (1942, comme La Ville maudite), et Borges est ici enquêteur éventuel d'un crime incertain dont les indices variables pourraient l'accuser, selon leur 5e et dernière interprétation, le losange.
Les deux premières interprétations de l'indice principal étaient les lettres X et O, accusant deux autres personnages prénommés Xavier et Oliver. Je remarque, dans la stupeur la plus extrême, que les lettres complémentaires de ces prénoms correspondent, dans le désordre, aux séquences IVREA et IVREL formées par les prénoms et noms des victimes de Peeters.
En 2000 est encore paru La Maison des feuilles, de Danielewski, exploration littéraire contée par trois narrateurs, dont une certaine Pelafina Heather Lièvre (en français dans l'anglais original, HEATHER étant l'anagramme de THE HARE, "le lièvre"). Une coquille intentionnelle, soulignée par un [sic] constituant une nouvelle interrogation pour le lecteur, la désigne une fois sous le nom Ms. Livre. Le titre exploite la polysémie du mot "feuille" (plus riche d'ailleurs en anglais), cette "maison" pouvant fort bien être le livre lui-même, or la bouquinerie de Monsieur Cauchemar se situe rue des Feuillantines, et Esbirol l'a nommée A l'In-folio des Feuillantines. Comme il l'a été vu plus haut, ESBIROL a un E de trop pour former l'anagramme LIBROS, "livres", et le jeu avec "lièvre", LIEBRE en espagnol, n'est pas impossible.
Puisque l'espagnol est convoqué, 2000 est aussi la date de parution d'un polar littéraire presque ultime, La Caverne des idées de Somoza, enquête sur le manuscrit "La Caverne des idées", enquête de Héraclès Pontor sur une série de crimes dans la Grèce antique... Comme dans La Maison des feuilles, les notes de bas de page sont essentielles, leur longueur dépassant souvent celle du récit primaire.
Et c'est encore l'année de parution de La Mort des neiges, de Brigitte Aubert, seconde aventure de son héroïne tétraplégique Elise, narratrice. Un autre degré dans le livre devenant réalité car B* A*, l'écrivain qui a publié sa première aventure, lui a imaginé une suite accumulant crimes et horreurs divers, mais son manuscrit est tombé entre les mains d'une bande de dingues qui s'appliquent à le mettre en oeuvre point par point...
Enfin mon unique roman publié est paru en novembre 2000, Sous les pans du bizarre, dans la collection Gondol voulue d'emblée intertextuelle par son créateur, JB Pouy, tous les ressorts devant provenir de LIVRES, réels ou non. Mes goûts m'ont porté tout naturellement à imaginer une série de crimes répartis logiquement dans le temps et dans l'espace, avec de multiples coïncidences développées ailleurs, mais je ne crois pas avoir encore relevé un point qui ferait le lien avec le premier livre de ce réseau intertextuel, L'île aux 30 cercueils, qui commence par une lettre du détective de l'agence DUTREILLIS, dans laquelle il informe Véronique d'Hergemont qu'il a achevé la double mission qu'elle lui a confiée, dont une partie consistait à retrouver l'endroit du tournage d'un film où Véronique avait vu sur une porte l'inscription V. d'H., exactement conforme à sa signature de jeune fille. J'ai vu dans cet achevé une possible allusion aux initiales HV, qui pourraient de plus commander la succession des 30 meurtres qui vont frapper l'île, répartis en Vingt-deux + Huit (les deux seuls nombres cardinaux correspondant au rang ordinal de leurs initiales).
Bref, Pouy a tout naturellement décidé que le héros de sa collection métatextuelle serait un libraire, et il a sis sa librairie rue BEAUTREILLIS, probablement selon une démarche identique à celle qui a conduit Leblanc à nommer son détective DUTREILLIS, mais Pouy aurait-il eu cette idée s'il n'avait habité à deux pas de la rue BEAUTREILLIS ?

Je dois encore préciser que je n'ai jusqu'ici pas orienté mes lectures selon un critère de publication vigésimale. J'ai donc cité 10 titres parus en 20-40-60-80-00, qui ont tous en commun une série criminelle calquée sur un texte préexistant. Il faudrait peut-être affiner un peu mieux, tenir compte que 10 petits Nègres est paru à Londres en 39, mais la parution en 40 aux USA sous un nouveau titre lui vaut au moins une demi-mention, qui pourrait être complétée par la réédition en 80 sous le nom de Siniac de Monsieur Cauchemar de Signac.
Je connais bien évidemment d'autres oeuvres qui pourraient répondre à cette définition, mais je serais bien en peine d'en trouver les 190 qui équilibreraient les 10 "vigésimaux", d'autant qu'il me semble probable que ma liste comporte des oublis, parmi les oeuvres que je connais, dont je n'ai pas vérifié les parutions.
La plupart des textes essentiels semblent en effet obéir à ce critère de parution vigésimale. Je regrette cependant de n'avoir aucun Queen dans cette liste, les années 40 et 60 ayant été "blanches" malgré une production importante pendant plus de 40 ans (je rappelle tout de même qu'il aurait du paraître en 40 Il était une vieille femme, retardé à cause de 10 petits Nègres). Je le regrette d'autant plus que 20 semble un nombre fétiche pour Queen, comme la lettre T (Twenty étant en anglais le seul nombre cardinal correspondant au rang ordinal de son initiale).

A suivre, j'espère avant 2020...

Je ne croyais pas si bien dire. J'ai rédigé ce qui précède les 29 et 30 janvier, après avoir vu le jour précédent les possibilités de relier Monsieur Cauchemar à une série de livres qui m'intéresse depuis longtemps, et j'ai remarqué à cette occasion la prépondérance des dates vigésimales de parution de ces textes.
Ce 28 janvier Arte diffusait La mariée était en noir, de Truffaut, que je voulais voir. Reprenant le roman original de Cornell Woolrich pour vérifier les distorsions opérées par Truffaut, j'ai vu que The Bride wore black avait été publié en 40, et que c'était le premier roman policier signé Woolrich, qui jusqu'ici avait publié des romans littéraires signés Irish et des nouvelles.
C'était par ailleurs le premier roman d'une série de 6 contenant tous black dans leurs titres, ce que je mets en parallèle avec le Nigger du titre de Christie Ten little Niggers qui a été censuré aux USA, transformé en And then there were none. Bien qu'aucune influence ne puisse être suspectée, il y a des ressemblances entre les deux histoires, séries de meurtres incompréhensibles, alors que les serial killers étaient encore rares dans le genre. Les points les plus troublants sont les ressemblances avec des parodies de Dix petits Nègres.
Ainsi Peeters a limité son roman à 5 meurtres, essentiellement parce que le mot LIVRE a 5 lettres, le dernier, particulier, étant celui du bibliothécaire-écrivain Lessing. La vengeresse de Woolrich a aussi une liste de 5 hommes à abattre, ce qui a donné lieu à une construction en 5 parties, comme chez Peeters. La police a compris après le 4e meurtre le lien unissant les victimes, et elle tend un piège à la tueuse en remplaçant le dernier homme, un écrivain précisément, par un flic. Je ne sais pas si ce point est suffisant pour classer le Woolrich parmi les polars intertextuels, mais il y a une similitude confondante avec un polar intertextuel de Queen, lequel parodie de plus vraisemblablement aussi Dix petits Nègres, avec le nombre de victimes respecté. Cette similitude est peut-être intentionnelle, car Woolrich était l’un des auteurs phares de la revue EQMM.
La tueuse se fait donc passer pour une dactylo afin d’approcher l’écrivain, pour le tuer, et tombe dans le piège tendu. Après les meurtres mystérieux de 9 personnes dans Griffes de velours (1949), Queen comprend la relation les unissant, et est à même de protéger la 10e victime, une dactylo, en la remplaçant par une fliquette. Le tueur présumé approche la dactylo supposée en se faisant passer pour un écrivain qui a besoin de faire taper au plus vite les deux derniers chapitres de son roman, et il tombe dans le piège au 10e chapitre de Griffes de velours, qui aurait dû être le dernier chapitre d’un polar classique… Mais chez Queen il va encore s’agir d’un faux tueur, qui avait compris que la police était sur la bonne voie, et qui entendait protéger le vrai coupable en se substituant à lui. Queen aura besoin de deux chapitres supplémentaires pour découvrir l’ultime vérité…
Il y a aussi un retournement final chez Woolrich, que Truffaut a omis. Arrêtée, la tueuse explique aux flics le motif de sa vengeance, et apprend alors que ceux qu’elle a éliminés étaient innocents du meurtre de son mari. Un prodigieux hasard l’avait aiguillée sur une fausse piste, et un autre prodigieux hasard a fait que son action a néanmoins permis de découvrir le véritable coupable…
Par ailleurs le scénario de Woolrich a été suivi assez fidèlement par Truffaut, sauf en ce qui concerne le 5e meurtre et le personnage de l’écrivain Holmes. Truffaut en a fait un ferrailleur malhonnête nommé Delvaux, dont il a confié l’interprétation à un authentique écrivain, Daniel Boulanger ! Il arrive en 4e sur la liste de Julie Kohler, mais la police empêche sa tentative en arrêtant Delvaux pour ses malversations. Julie se laisse arrêter après l’exécution suivante afin de pouvoir approcher Delvaux en prison…

Je reviens sur le motif de la série « 4+1 morts », la dernière étant spéciale. J’avais remarqué plus haut les similitudes entre Monsieur Cauchemar (60) et La Bibliothèque de Villers (80), mais ce motif est aussi celui de Sous les Pans du bizarre (00), que j’ai écrit sans connaître ces livres. Mes morts offrent plutôt un schéma 3-1-1, 3 meurtres gouvernés par le temps et l’espace mènent à un suspect que les enquêteurs trouvent mort ; un piège est tendu à un autre suspect, mais celui-ci se suicide en complétant le schéma spatio-temporel esquissé par les 3 premiers crimes. Le libraire enquêteur Gondol hésite à formuler une dernière hypothèse, qu’il gardera pour lui : le coupable est Pouy, soit celui qui a imaginé le concept de la collection Gondol… Selon ce concept où tous les ressorts devaient provenir de textes, j’avais choisi d’innocenter le dernier suspect par le programme d’un séminaire où il assistait lors du premier meurtre, et ceci jouait au second degré car répétant à l’identique la façon dont Queen innocentait le suspect des 9 crimes de Griffes de velours.
Voilà donc 4 romans avec un motif « 4+1 morts », publiés en 40-60-80-00, et je peux aisément envisager 4+1 romans puisque les 30 morts de L’île aux 30 cercueils (20) se répartissent en sous-groupes, le plus marquant étant les quatre femmes en croix commandées par le texte suivi par le criminel, en l’an quatorze et trois. Vorski crucifie donc 4 femmes, le dernier soupir de la dernière correspondant en principe à l’achèvement du programme qu’il s’était fixé pour obéir à une antique prophétie, mais la suite ne répond pas à son attente : au lieu d’accéder à la puissance absolue il tombe aux mains de Lupin qui le crucifie à son tour pour lui faire avouer où il a caché un prisonnier. Si Lupin laisse finalement la vie sauve à Vorski, c’est ironiquement parce qu’il fait confiance à une autre prophétie prédisant sa mort, qui se réalise effectivement…

J’ai donc mes 4+1 romans intertextuels, publiés en 20-40-60-80-00, contenant le motif « 4+1 morts », 4+1 romans car le fait que la 5e victime de La mariée était en noir soit un écrivain est un peu léger pour le classer comme intertextuel. En passant, 20 c’est 4 fois 5, et 5 c’est 4+1…
En déplaçant le critère de parution vigésimale au motif « 4+1 morts », j’ai beaucoup plus de difficultés à trouver des clients qu’avec le critère d’intertextualité, d’une imprécision aisément extensible à beaucoup de fictions. Certes la popularité des serial killers a dû multiplier les séries de 5, mais je me suis lassé du genre depuis une bonne décennie et ne connais donc guère les parutions récentes. Le premier titre qui me vient à l’esprit est, évidemment, Monsieur Abel, de Demouzon, parce que j’y ai vu un beau schéma que Demouzon n’a pas reconnu comme intentionnel : cet ABEL, retraité dont on ne connaît que ce (pré)nom, décèle une série criminelle dans les morts qui surviennent dans sa petite ville, et ces morts se prénomment Augustin-Bernard-Elisabeth-Liliane, initiales ABEL ! Abel vient accuser celui qu’il estime responsable de la machination, lequel a tôt fait de lui démontrer l’inanité de sa construction : il a pris pour des meurtres un suicide, un accident et une mort naturelle, et c’est son enquête qui a provoqué l’assassinat effectif de Liliane… Abel rentre chez lui et se pend (comme la dernière victime de Dix petits Nègres).
Monsieur Abel est paru en 79, mais la consultation des parutions de Demouzon me livre une paire immédiatement significative, Quidam en 1980 et La Promesse de Melchior en 2000. Je commence par ce dernier, que Demouzon a d’abord intitulé Melchior et le fil bleu, en référence au fil rouge, ou point commun d’une série quelconque. C’est une affaire de serial killer, que j’ai néanmoins lue par fidélité à l’auteur, où le tueur est un nommé Wolf (loup) qui mord ses victimes après les avoir entravées avec de la corde bleue. Le lecteur ne connaîtra que les noms de 3 de ses victimes, Pontel-Richeaume-Ogier, dans cet ordre, où je lis dans l’épellation des initiales P-R-O Perrault. Un loup qui mord les petites filles, du fil bleu par opposition au rouge, j’ai pensé au Petit Chaperon rouge et je n’ai plus douté après avoir découvert l’exacte anagramme « Le Chaperon rouge imité » des lettres « Pontel-Richeaume-Ogier », et « Richeaume » seul donne la « chaumière » de la grand-mère...
J’ai rencontré Demouzon qui a entièrement démenti cette lecture, et déclarer choisir les noms de ses personnages dans l’annuaire, en changeant d’initiale à chaque fois (ce qui explique P-R-O !) Ma lecture l’a néanmoins frappé, si bien qu’il m’a rendu hommage dans Melchior en Automne où le commissaire rencontre la sœur de la Richeaume assassinée par Wolf, qu’il compare à un petit chaperon rouge…
Quidam est un roman labyrintho-crépusculaire où il est difficile de trouver un fil conducteur, qu’il soit rouge ou bleu, premier d’une série de polars expérimentaux qui a fait perdre à Demouzon une bonne partie de son lectorat. Il y a néanmoins une certitude, confirmée explicitement par le texte et les commentaires de l’auteur, c’est une transcription moderne de la Belle au bois dormant, l’autre grand conte de la Mère l’Oye, de Perrault… Il pouvait y avoir une allusion à Barbe-Bleue, inspiré par Gilles de Retz, dans La Promesse de Melchior, débutant au pays de Retz.
Le roman est si complexe que le nombre de morts y est peu assuré, au moins 5 cependant, ainsi que l’identité des coupables. En curieux écho à la coïncidence de la dactylo entre La mariée était en noir et Griffes de velours, la Belle au bois dormant, première victime, est une dactylo bilingue, ou du moins quelqu’un qui postule à ce poste, puisque ce serait en fait une folle au parcours chaotique…
A propos de ce poste de dactylo bilingue, Demouzon emploie l’expression « mettre les bouchées doubles », ce qui pourrait être une excellente astuce, d’autant que pratiquement tous les personnages du roman ont une double personnalité.
Le personnage principal, Raimbault, est lui aussi un être dissocié, qui n’est en fait pas « Raimbault »… Demouzon affirme dans sa postface qu’il n’a pas songé au « Je est un autre » de Rimbaud, ce qui commence à faire beaucoup de coïncidences inconscientes. J’y ajoute que ce pauvre Raimbault se retrouve chargé de tous les crimes alors que le principal artisan (de 4 sur 5 !, si j’ai bien compris) en est le commissaire Ortensia, un nom évocateur pour les rimbaldiens (l’énigmatique poème H des Illuminations) et pour les lupiniens (le fait que le nom Hortense ait huit lettres et débute par un H semble gouverner l’ensemble du recueil Les Huit Coups de l’horloge).

Côté Rimbaud, un roman de la collection Gondol est intitulé Hortense Harar Arthur… Revenir à la collection Gondol m’amène à l’autre titre de 2000, le roman de Pouy paru en même temps que le mien, 1280 âmes, et ce livre vient compléter idéalement la série des 4+1 polars basés sur 4+1 morts, sans constituer un 6e côté du pentagone ou plutôt une seconde unification du quaternaire, puisqu’il s’agit dans ce roman de ressusciter 5 âmes, celles qui ont disparu dans la traduction de Pop 1280, devenu en français 1275 âmes.
Le motif 4+1 est ici particulièrement indiscutable, car Gondol, après avoir sillonné les USA où il n’a retrouvé trace que de 4 âmes disparues, décrète que la dernière est le Christ, auquel s’identifie le shérif de Pottsville, Nick Corey.
Curieusement, la dernière victime, involontaire, de la vengeresse de La mariée était en noir, est le réel assassin de son mari, également nommé Corey.
Il pourrait y avoir encore une coïncidence de parution avec La Maison des feuilles, la même année, qui dans une annexe présente 4 documents numérotés 175079, 001280, 046665, et 081512. Il est certain que le dernier numéro se lit 08-15-12, soit les rangs des lettres H-O-L, acronyme du titre original House Of Leaves. Il est probable, à moins que ce ne soit une nouvelle fantastique coïncidence, que 046665 soit une allusion à Pi, film marginal de Darren Aronofsky (1998), qui s’achève sur deux opérations dont les résultats sont 46665 et 3,14…, soit pi, le titre de l’œuvre). Attendu que Danielewski a résidé longtemps en France, il ne serait pas impossible que 001280 soit une allusion à la traduction kleptomane de Pop 1280, célèbre en France longtemps avant que Pouy propose sa variation sur le sujet.
  
Rémi Schulz, le 01/02/08
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