samedi 28 juillet 2007

blanches colombes & vilains ours

Je viens de lire L'ours, Histoire d'un roi déchu de Michel Pastoureau.
L'auteur s'y interroge page 151 sur l'insistance des ours au voisinage des saints colombins, ainsi Ste Colombe, au 3e siècle, aurait été sauvée des tourments de ses persécuteurs par une ourse.
St Colomban de Bobbio, qui vécut de 543 à 615, aurait apprivoisé plusieurs ours, les faisant par exemple labourer.
Aucune légende ursine ne concerne St Colomba d'Iona, qui vécut de 521 à 597, cependant l'ours fait partie des attributs permettant d'identifier le saint. Pastoureau s'en étonne: "Peut-être est-ce dû à un jeu de mots - mais dans quelle langue ?- entre le nom du saint et celui de l'animal."
J'aurais une petite idée, car en hébreu "ours" se dit dov, parfait homonyme de dove, "colombe" en anglais. Ma science s'arrête là, et je ne fais aucune hypothèse sur l'existence du mot anglais dès le 6e siècle, ou sur les connaissances hébraïques de Colomba, mais ceci vient souligner une curiosité remarquée depuis longtemps.
Colomba a quitté son Irlande natale pour aller évangéliser l'Ecosse. La légende veut qu'il ait alors fait naufrage et ait échappé à la noyade grâce à l'île d'Iona, où il a construit ensuite son premier monastère, or iona signifie "colombe" en hébreu (ou ionah). Rien ne semble indiquer une relation entre les deux faits, et Iona est un nom gaélique crédible (entrant dans la composition de divers mots en gaélique, où notamment "île" se dit inis). Sur cette page, il semblerait que le nom ancien de l'île ait été le celtique Ithona, "île des vagues", qui aurait été contaminé par I-na-Dhruidhheachna, "île des druides"...
Pourtant un Colomba manquant d'être noyé en allant évangéliser les païens ressemble à une réécriture du Livre de Jonas, qui se nomme bel et bien Iona en hébreu, le nom même de la colombe. Les lecteurs attentifs de la Vulgate ne pouvaient l'ignorer car Jérôme donne en index la signification de tous les noms hébraïques:
Ionas, Columba (Colombe, Colomba et Colomban sont des graphies actuelles)
Ce Jonas biblique s'était embarqué pour fuir l'injonction divine d'aller prophétiser à Ninive, mais Dieu se rappela à son souvenir en soumettant son bateau à de continuelles tempêtes, jusqu'à ce que l'équipage jetât à la mer ce porte-poisse. Puis ce fut le "grand poisson" qui le sauva de la noyade en l'avalant, et le déposa trois jours plus tard à terre, docile et résigné à accomplir sa mission à Ninive.
Curieusement Ninive s'écrit en hébreu NINOA, avec les mêmes lettres composant IONA (en suivant la même translitération). Le N ou noun supplémentaire aurait pour signification originelle le Poisson (noun signifie effectivement "poisson" en araméen).
On sait que le Signe de Jonas des Evangiles fait allusion aux trois jours passés par Jonas dans les entrailles du poisson, avant sa "résurrection". Le symbole du poisson sera utilisé par les premiers chrétiens, essentiellement à cause de IChThUS ("poisson" en grec, acrostiche de "Jésus Christ Fils de Dieu Sauveur").
Peut-être moins curieusement, la vie de l'autre Colomba(n) a été écrite par Jonas, un moine italien de l'abbaye de Bobbio, vers 643. En effet le nom de ce moine a pu être choisi en hommage au fondateur de l'abbaye, et/ou cette homonymie a pu le faire choisir comme son historiographe.
Mais je reviens à l'ours. Une recherche sur une concordance ne livre que 8 occurrences du mot dans l'Ancien Testament, l'une d'elles l'associant à la colombe dans ce verset 59,11 d'Isaïe:
Nous rugissons tous comme les ours, et nous ne cessons de gémir comme les colombes : nous attendons le juste jugement, et il n'y en a pas ; le salut, [et] il est loin de nous.
Mon amie dp me signale un air des Noces de Figaro, où Figaro se plaint des femmes:
Son rose spinose,
Son volpi vezzose,
Son orse benigne,
Colombe maligne...
"Ce sont des roses avec des épines, des renardes rouées, des ourses bien intentionnées, des colombes perverses..."
Ma première réaction a été de me souvenir que le librettiste de Mozart, Lorenzo Da Ponte, était juif de naissance (son père s'est converti au christianisme lorsqu'il avait 14 ans). Je ne sais s'il connaissait l'hébreu, ni s'il était adepte du rabbin cabaliste Dov-Ber, mort en 1772, successeur du célèbre Baal Shem-Tov. Le nom de ce rabbin est "ours" en hébreu suivi de sa traduction en yiddish (pour Bär en allemand).
Je ne crois pas que Da Ponte ait été un juif religieux, du moins était-il franc-maçon comme Mozart, et ce milieu était friand d'hébraïsme et de cabale.
Ma seconde réaction a été de repérer l'anagramme rose-orse, "roses-ourses", qui peut suggérer Eros. C'est avant tout Suzanne qui a provoqué la tirade misogyne de Figaro, or Suzanne vient de l'hébreu shoshana souvent traduit par "rose" (Jérôme donnait "lis"et "rose").
Ceci n'est qu'une première approche. J'ai déjà écrit des choses sur le chien Jonas d'un roman de Lahougue, et sur les ours dans l'oeuvre de Perec, aussi j'espère pouvoir approfondir.

lundi 2 juillet 2007

Citizen Haines

J'ai achevé mon billet précédent, sur Pauline à la plage, le 19 juin. Le soir, la TV diffusait Le mystère de la chambre jaune que j'ai regardé car une étude récente m’avait amené à rapprocher Jean Ballmeyer, le criminel de Gaston Leroux, de Hans Bellmer.

Mon intérêt pour Bellmer découle de mon étude sur Alphabets de Perec. Hans Bellmer et sa compagne Unica Zürn ont été des précurseurs dans la voie de l'anagramme systématisée dans ce recueil.
Sans aborder la richesse des relations dorées internes à Alphabets, étudiée ici, je suis ahuri par les coïncidences extérieures, péritextuelles, touchant notamment aux noms "dorés" des personnes concernées. Un "nom doré", c'est un ensemble prénom-nom tel que les valeurs numériques associées soient en rapport d'or optimal. GEORGES PEREC (=76-47) est un excellent exemple (47/76=0.618); HANS BELLMER (=42-67) et UNICA ZURN (=48-79) offrent des rapports moins bons mais néanmoins optimaux; cette triade peut être complétée par la dédicataire d'Alphabets, la compagne de Perec CATHERINE BINET (=83-50) qui était une intime du couple Bellmer-Zürn, mais le partage est ici à une unité du partage optimal 82-51.

Je ne regardais que d'un oeil Le mystère de la chambre jaune lorsque je me suis avisé que le père de Mathilde Stangerson y est joué par Michael Lonsdale, dont j’ai machinalement calculé les valeurs, 51-82, un nom doré… J’ai aussitôt pensé qu’il était l’un des principaux interprètes des Jeux de la comtesse Dolingen de Gratz, le film de Catherine Binet d’après Sombre printemps d’U. Zürn. L’autre interprète principal est Carol Kane = 49-31, encore un nom doré !

Ce film est présenté comme le second volet du Film sur Hans Bellmer réalisé par C. Binet en 1972, auquel participait également Lonsdale.
Unica Zürn y est présente, en tant qu'auteur de Sombre printemps, mais on n'en connaît que le surnom "Nena". On la voit à deux reprises, en milieu psychiatrique, puis chez elle, où une voix off lui donne parfois la réplique. Ce ne peut être que Bellmer lui-même, ou plutôt évidemment un acteur lui prêtant sa voix. Par ailleurs plusieurs oeuvres de Bellmer apparaissent dans le film, dont Rose ou/verte la nuit, citée dans Alphabets.
Lonsdale et Kane forment le couple Bertrand et Louise Haines-Pearson, personnages principaux de l'histoire principale, avec cette particularité que Lonsdale n’apparaît de face qu’à la fin du film.
Je me suis offert une "hainième" vision du film, sur une mauvaise cassette enregistrée lors d'une lointaine diffusion par Arte, ne permettant guère les calculs précis offerts par les DVD.

Louise est une cinéaste, comme Catherine.
C'est une amie d'Unica/Nena, comme Catherine, mais là s'arrêtent probablement les ressemblances, car son tyrannique mari n'a rien à voir ni avec le premier mari de Catherine, le psychiatre qui soignait Unica, ni bien sûr avec l'adorable Perec, lequel a financé le film.
Ce mari-père Bertrand est peut-être inspiré par les fantasmes d'Unica.

B. Haines-P. doit principalement son nom, selon Catherine, à une publicité de la BNP, Votre argent m'intéresse...
Il est ici en train de téléphoner aux gendarmes de Vernon pour les informer de la mort de l'intrus qui pénétrait dans sa maison de Ste Marguerite de l'Hôtel, auquel il avait tendu un piège atroce.
Il se retourne enfin, pour la première fois du film, et un astucieux montage le montre présider un repas, où Louise est en deuil, car Nena vient de se défenestrer, comme son héroïne dans Sombre printemps (ce dont le spectateur vient d'être témoin dans le film qui entrelace trois histoires parallèles). Louise hurle sa haine à l'assistance, et court s'enfermer dans le bureau de Bertrand, où elle manipule son revolver... Partant de son nom Haines ou N, elle le transforme en Nemo (Personne), puis Nena qu'elle anagrammatise en "Anne, ma soeur Anne..." Elle troue la panse de Rose ou/verte la nuit, achevant l'étripage commencé par Bellmer, puis regarde la fenêtre, qu'elle ouvre... FIN

Il y a donc dans cette affaire trois couples dorés, ou presque, Hans-Unica, Georges-Catherine, et enfin Michael-Carol.
J'avais quelque idée de la probabilité de trouver des noms dorés, qu'il restait à vérifier. J'ai trouvé sur Wikipedia une liste de 1382 acteurs masculins, facilement exploitable: 33 d'entre eux ont des noms dorés, ce qui correspond à ce que j'attendais. Il n'y avait hélas pas de liste féminine équivalente, ce qui aurait permis diverses comparaisons.
Du moins ceci permet-il d'évaluer à 1 chance sur 40 la probabilité pour qu'un nom soit doré, donc à une chance sur 40 au carré (sur 1600) celle pour qu'un couple de noms soit doré, et à une chance sur 1600 au carré (plus de 2 millions) celle pour qu'un film sur un couple doré ait en vedettes un autre couple doré. C'est une façon un brin orientée de présenter les choses, mais qui ne tient pas compte du couple producteur/réalisatrice, lui aussi presque doré, ni de diverses autres choses.
Je ne prétends rien en déduire de logique, me bornant à constater la prolifération des relations dorées autour de Perec.

Ma page précitée au début du billet devait beaucoup à l'étude de Dominique de Liège, Unica Zürn, Bellmer et Perec, réunissant trois noms dorés dans son titre. Une coquille a un effet similaire sur une page du Forum des images, qui donne comme 3 premiers interprètes de la Comtesse Dolingen :
Carol KANE
Michael LONSDALE
Unica ZURN
C'est si évidemment une erreur que je joins cette copie d'écran, avant que la coquille ne soit corrigée.
A propos de coquille, ce film a été l'unique production des Films du Nautile, un nom qui vient en droite ligne du Nautilus vernien, mais les amateurs du nombre d'or, dont Perec faisait partie, ne peuvent ignorer que l'exemple type de spirale d'or dans le monde vivant est la coquille du Nautile, ainsi une affiche primée lors d'un concours de maths associe cette coquille au nombre d'or.

Les illustrations de Vingt mille lieues sous les mers sont fortement présentes dans la Comtesse Dolingen, ainsi que la devise de Nemo, Mobilis in mobile, accompagnée de l'initiale mystérieuse N.
Parmi les 33 noms d'acteurs dorés, le plus célèbre est Kirk Douglas (=49-79), tête d'affiche du Vingt mille lieues sous les mers version Disney pour son rôle du harponneur Ned Land.

Un des rares commentaires sur la Comtesse trouvé sur le Net est dû à Philippe Didion, dans ses notules dominicales de janvier 06. Il n'est guère enthousiaste, c'est son droit. Je ne crois pas l'avoir été non plus lors de ma première vision, mais je constate que je ne me suis jamais ennuyé lors des multiples suivantes, malgré la mauvaise qualité de mon enregistrement.
Chaque fois que le hasard de mes recherches m'amène aux Notules de Didion, j'ai la curiosité de parcourir l'ensemble de la livraison, ce qui me fait découvrir qu'il y parle 15 jours plus tôt de L'inconnu du Nord-Express, et du couple formé par Guy Haines et Bruno Anthony. Lors de ma découverte de la Comtesse Dolingen, qui commence dans un train venant d'Amsterdam, le nom Haines-Pearson m'a aussitôt évoqué le film de Hitchcock, où le nom Haines est associé à une hallucinante série de coïncidences, en partie due à d'incroyables coquilles ou erreurs.
Ce ne semble pas fini, car Didion évoque "la composition de Robert Walker qui prend rang dans la galerie des grands monstres hitchcockiens aux côtés du Perkins de Psychose et du Michael Caine de Frenzy."
Etant presque certain que ce n'est pas Michael Caine qui joue l'étrangleur de Frenzy, je vérifie qu'il s'agit de Barry Foster, et que Caine n'est pas présent au générique. Je suis ravi de cette erreur car Michael Caine (=51-32) était l'acteur "doré" qui avait le plus attiré mon attention sur la liste précitée, composée essentiellement d'acteurs anglo-américains, où Lonsdale ne figure pas (malgré son rôle dans un James Bond), et Kane non plus puisque c'est une actrice.
Caine se prononçant exactement comme Kane, Michael Caine réussit le petit miracle de réunir dans un mariage doré les acteurs dorés du couple Haines, avec divers échos:
- les principales coïncidences sur L'inconnu(e) du Nord-Express touchent aux noms Haines et Gaines;
- c'est l'ordinateur qui m'a révélé cet ouragan Caine, or le premier ordinateur digne de ce nom a été l'ENIAC, renversement de CAINE (acronyme pour Electronic Numerical Integrator And Computer);
- enfin Didion commente aussi dans cette livraison des Notules le film Citizen Welles, dont j'ignorais l'existence, notamment lorsque j'ai choisi le titre de ce billet; il mentionne à cette occasion le scénariste de Citizen Kane, Herman Mankiewicz, frère de Joseph, or en me renseignant sur Frenzy j'ai appris que son scénariste était Anthony Shaffer, qui avait également adapté pour Joseph Mankiewicz sa pièce Sleuth, en français Le limier, où Michael Caine a probablement trouvé son meilleur rôle.