Je viens de lire L'ours, Histoire d'un roi déchu de Michel Pastoureau.
L'auteur s'y interroge page 151 sur l'insistance des ours au voisinage des saints colombins, ainsi Ste Colombe, au 3e siècle, aurait été sauvée des tourments de ses persécuteurs par une ourse.
St Colomban de Bobbio, qui vécut de 543 à 615, aurait apprivoisé plusieurs ours, les faisant par exemple labourer.
Aucune légende ursine ne concerne St Colomba d'Iona, qui vécut de 521 à 597, cependant l'ours fait partie des attributs permettant d'identifier le saint. Pastoureau s'en étonne: "Peut-être est-ce dû à un jeu de mots - mais dans quelle langue ?- entre le nom du saint et celui de l'animal."
J'aurais une petite idée, car en hébreu "ours" se dit dov, parfait homonyme de dove, "colombe" en anglais. Ma science s'arrête là, et je ne fais aucune hypothèse sur l'existence du mot anglais dès le 6e siècle, ou sur les connaissances hébraïques de Colomba, mais ceci vient souligner une curiosité remarquée depuis longtemps.
Colomba a quitté son Irlande natale pour aller évangéliser l'Ecosse. La légende veut qu'il ait alors fait naufrage et ait échappé à la noyade grâce à l'île d'Iona, où il a construit ensuite son premier monastère, or iona signifie "colombe" en hébreu (ou ionah). Rien ne semble indiquer une relation entre les deux faits, et Iona est un nom gaélique crédible (entrant dans la composition de divers mots en gaélique, où notamment "île" se dit inis). Sur cette page, il semblerait que le nom ancien de l'île ait été le celtique Ithona, "île des vagues", qui aurait été contaminé par I-na-Dhruidhheachna, "île des druides"...
Pourtant un Colomba manquant d'être noyé en allant évangéliser les païens ressemble à une réécriture du Livre de Jonas, qui se nomme bel et bien Iona en hébreu, le nom même de la colombe. Les lecteurs attentifs de la Vulgate ne pouvaient l'ignorer car Jérôme donne en index la signification de tous les noms hébraïques:
Ionas, Columba (Colombe, Colomba et Colomban sont des graphies actuelles)
Ce Jonas biblique s'était embarqué pour fuir l'injonction divine d'aller prophétiser à Ninive, mais Dieu se rappela à son souvenir en soumettant son bateau à de continuelles tempêtes, jusqu'à ce que l'équipage jetât à la mer ce porte-poisse. Puis ce fut le "grand poisson" qui le sauva de la noyade en l'avalant, et le déposa trois jours plus tard à terre, docile et résigné à accomplir sa mission à Ninive.
Curieusement Ninive s'écrit en hébreu NINOA, avec les mêmes lettres composant IONA (en suivant la même translitération). Le N ou noun supplémentaire aurait pour signification originelle le Poisson (noun signifie effectivement "poisson" en araméen).
On sait que le Signe de Jonas des Evangiles fait allusion aux trois jours passés par Jonas dans les entrailles du poisson, avant sa "résurrection". Le symbole du poisson sera utilisé par les premiers chrétiens, essentiellement à cause de IChThUS ("poisson" en grec, acrostiche de "Jésus Christ Fils de Dieu Sauveur").
Peut-être moins curieusement, la vie de l'autre Colomba(n) a été écrite par Jonas, un moine italien de l'abbaye de Bobbio, vers 643. En effet le nom de ce moine a pu être choisi en hommage au fondateur de l'abbaye, et/ou cette homonymie a pu le faire choisir comme son historiographe.
Mais je reviens à l'ours. Une recherche sur une concordance ne livre que 8 occurrences du mot dans l'Ancien Testament, l'une d'elles l'associant à la colombe dans ce verset 59,11 d'Isaïe:
Nous rugissons tous comme les ours, et nous ne cessons de gémir comme les colombes : nous attendons le juste jugement, et il n'y en a pas ; le salut, [et] il est loin de nous.
Mon amie dp me signale un air des Noces de Figaro, où Figaro se plaint des femmes:
Son rose spinose,
Son volpi vezzose,
Son orse benigne,
Colombe maligne...
"Ce sont des roses avec des épines, des renardes rouées, des ourses bien intentionnées, des colombes perverses..."
Ma première réaction a été de me souvenir que le librettiste de Mozart, Lorenzo Da Ponte, était juif de naissance (son père s'est converti au christianisme lorsqu'il avait 14 ans). Je ne sais s'il connaissait l'hébreu, ni s'il était adepte du rabbin cabaliste Dov-Ber, mort en 1772, successeur du célèbre Baal Shem-Tov. Le nom de ce rabbin est "ours" en hébreu suivi de sa traduction en yiddish (pour Bär en allemand).
Je ne crois pas que Da Ponte ait été un juif religieux, du moins était-il franc-maçon comme Mozart, et ce milieu était friand d'hébraïsme et de cabale.
Ma seconde réaction a été de repérer l'anagramme rose-orse, "roses-ourses", qui peut suggérer Eros. C'est avant tout Suzanne qui a provoqué la tirade misogyne de Figaro, or Suzanne vient de l'hébreu shoshana souvent traduit par "rose" (Jérôme donnait "lis"et "rose").
Ceci n'est qu'une première approche. J'ai déjà écrit des choses sur le chien Jonas d'un roman de Lahougue, et sur les ours dans l'oeuvre de Perec, aussi j'espère pouvoir approfondir.
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