vendredi 13 mai 2011

la multiplication des 813


Il est des questions qui m'obsèdent, telle celle-ci :
Existe-t-il une relation entre les parutions la même année 1910 du livre 813, de Maurice Leblanc, et du Liber 813 d'Aleister Crowley ?
La question est relancée par la parution 100 ans après, semble-t-il due à une erreur de fabrication, de deux numéros 813 dans la collection Rivages/Noir, soulignée par le fait que 2010/11 est aussi l'an 138 de l'Ere Pataphysique.

Le premier titre est le roman le plus ambitieux de Leblanc, la plus longue aventure de Lupin, publiée en feuilleton dans Le Journal, du 5 mars au 24 mai 1910, parue en volume chez Lafitte en juin 1910 (ci-dessus la couverture originale, grâce à la courtoisie d'Arne Lupinès, de L'Agence Lupin).
L'autre, dont le titre complet est Liber 813 vel ARARITA, serait un texte qui aurait été dicté à Crowley en écriture automatique pendant l'hiver 1907-08...
On en trouve le texte ici en anglais, sans indication de date de publication, et en français, avec pour première publication dans ‘The Holy Books’, vol. 3 (Londres, 1909-10).
Le texte est aussi appelé Liber ARARITA (אראריתא) vel 813 (DCCCXIII), "Livre Ararita ou 813", les deux termes étant en fait équivalents, ARARITA étant acronyme d'une phrase en hébreu signifiant Une est Ton Origine ! Un est Ton Esprit, et Ta Permutation Une ! La valeur numérique des lettres hébraïques ARARITA est 813.
Curieusement, dans le roman de Leblanc, 813 est un nombre énigmatique qui n'est pas important en lui-même une fois l'énigme résolue, ce sont uniquement ses chiffres 8-1-3 qui sont significatifs, quel qu'en soit l'ordre, ainsi toutes les permutations de 813 auraient été également valables, telles 138 et 381. Non seulement est-il paru deux livres 813 en 1910, mais tous deux ont un rapport avec la permutation.

Il n'y a rien d'absolument impossible à ce que Leblanc ait connu Crowley, qui effectuait alors de fréquents séjours à Paris, et qui avait inspiré le personnage principal de The Magician, de Somerset Maugham (1908). Je me suis inscrit à un forum public consacré à Crowley pour poser la question, qui est apparue comme sujet 3325 du forum; lorsque je suis revenu y voir, ma question avait disparu et je n'étais plus membre du forum, sans aucune explication ni notification.

L'énigme 813 outrepasse nettement ce problème difficile à élucider, ainsi un siècle plus tard le monde de l'édition connaît un nouveau bégaiement impliquant 813. L'une des grandes collections françaises de polar est Rivages/Noir, créée en 1986 par François Guérif, au succès tel qu'elle est parvenue en mars à son numéro 813, qui échut à un auteur français, Tito Topin.
Le coup de tonnerre vint deux mois plus tard, avec la parution d'un autre n° 813 :Merci Black JackRenseignements pris, il s'agirait d'un cafouillage pour cet autre roman français qui était prévu sous le numéro 821, mais l'éditeur a assumé l'erreur et les deux livres figurent à son catalogue sous le numéro 813, tandis que le numéro 821 reste inattribué.Ce n'est peut-être pas une erreur unique, le catalogue affichant aussi deux numéros 717, au lieu des numéros 716-717. Détail amusant, j'ai trouvé une chronique de 2009 en faisant état, due à François Braud, n° 716 de 813.

La bévue sur 813, assurée fortuite par Rivages/Noir, prend une tournure fatidique aux yeux d'un pataphysicien, pour lequel l'année en cours est l'an 138 de l'Ere Pataphysique (dont l'an 1 a commencé le jour de la naissance de Jarry, le 8 septembre 1873 vulgaire), or le premier numéro en 138 EP de la revue du Collège de 'Pataphysique, Viridis Candela, était le n° 13, 8e série. Nul calcul dans cette coïncidence, à moins qu'elle n'ait été ourdie bien des décennies plus tôt, car la revue a été conçue dès l'origine (en 1950 vulgaire, 78 EP) selon une loi rigoureuse, 4 numéros par an, chaque série durant 7 ans et donc 28 numéros, au terme desquels maquette et sous-titre de la revue changent. La 8e série, Le Correspondancier, a débuté en Absolu 135 (septembre 2007 vulgaire), et c'est une logique implacable qui a donc fait du 1er numéro de 138 le 13 de cette 8e série, trois mois après le centenaire de la parution du 813 de Leblanc. A moins d'occultation du Collège, le numéro 8 de la série 13 paraîtra le 1er Gidouille 171 EP, soit le 15 juin 2044. Pour ce qui est du Liber 813 de Crowley, je n'ai pas réussi à trouver la date précise de sa première publication qui, au cas où elle aurait été postérieure au 7 septembre 1910, aurait été en 38 EP.

Divers illustres pataphysiciens se sont passionnés pour Arsène Lupin, auquel a d'ailleurs été consacré un numéro complet de Viridis Candela (5e série, n° 10).
Le 13 Phalle 100 EP (soit le 23 août 1973 vulgaire) a été fondée la Sous-Commission du Collège Oulipopo (Ouvroir de Littérature Policière Potentielle), par divers pataphysiciens parmi lesquels les spécialistes du polar Michel Lebrun et Jacques Baudou. Peu après s'y sont joints des non-pataphysiciens, tel François Guérif (futur patron de Rivages/Noir).
Au sein de cette équipe est née l'idée d'une association ouverte à tous d'Amis de la Littérature Policière, qui fut fondée en 1980, principalement à l'instigation de Lebrun qui lui trouva son nom, 813 en hommage à Leblanc, et proposa qu'elle fut limitée à 813 membres. Il en fut le numéro 1, tandis que le n° 813 était réservé à un descendant de Leblanc. Guérif, n° 74, fut président de 813 de 1992 à 1995. Il jouxte Lebrun sur cette photo de l'Oulipopo en 1982 :
La plupart des professionnels du polar ont un jour ou l'autre été membres de 813, sans parler de nombreux amateurs. J'en ai été membre plus de 10 ans, et l'ai quitté il y a 2 ans, précisément suite au refus des responsables actuels de la revue (813) de s'intéresser au lien éventuel entre Crowley et Leblanc.
Joseph Bialot fut un membre de la première heure de 813, avec le n° 15, Tito Topin y a le n° 679.

L'attribution du n° 813 de Rivages/Noir à Tito Topin offre une autre curiosité, car la valeur numérique de TITOTOPIN est 138 (addition des rangs de ses lettres dans l'alphabet).
Topin rime avec Lupin qui décodait un message selon ces équivalences dans une nouvelle parue en avril 1911, avec une autre coïncidence éditoriale stupéfiante car ce même mois Sherlock Holmes utilisait le même procédé dans une nouvelle inédite, avec d'autres parallèles étudiés ici.

J'ai étudié ici et l'éventualité de correspondances gématriques cachées dans l'oeuvre de Leblanc, particulièrement pour 813 qui pourrait contenir de multiples allusions à l'affaire de l'enfant lupin Gaspard Hauser, en la transposant du duché de Bade à celui des Deux-Ponts, car GASPARD HAUSER = DEUX PONTS = 138.
Ceci rend compte de la solution de l'énigme 813, validant n'importe quelle permutation des nombres 1-3-8, et le choix particulier de la forme 813 offre une possible subtilité de cet ordre :
HUIT CENT TREIZE = 183, autre permutation de 813.

Un autre clin d'oeil de Leblanc apparaît peut-être dans ce détail du roman, où le 13 août peut se lire 13/8 : Le choix du nombre 813 par Leblanc peut donc avoir de multiples raisons, tout à fait indépendantes de Crowley. A propos de ce dernier, sans préjuger de la réalité de la réception miraculeuse des "textes saints" concernés, du moins peut-on se demander si une signification quelconque pourrait être attribuée à 813, car la formule ayant pour acronyme ARARITA est inconnue antérieurement à ce texte.
Crowley était parfaitement à l'aise avec les jeux gématriques en hébreu, et il est assez remarquable que les nombres un-trois-huit y soient ehad-shalosh-shemone, de valeurs
אחד-שלש-שםנה = 13+630+395 = 1038,
permutation de (0)138 ou (0)813.
Par ailleurs, du fait des révélations qui lui étaient prodiguées, Crowley se proclamait "Maître du Temple", grade le plus élevé dans l'échelle de la Golden Dawn, s'écrivant 8°=3° (avec un petit carré à la place du second °). Je n'ai pas la moindre idée de ce que ça signifie, mais ceci pourrait avoir un rapport avec 8-1-3.

Ayant une certaine affection pour 813, j'ai été heureux de voir la bévue de Rivages/Noir associer ce nombre à Joseph Bialot, personnage extrêmement sympathique, rencontré en 2001 lors d'une manifestation 813, précisément.
J'apprécie aussi beaucoup ses livres, notamment sa tétralogie LOUP (publiée au Seuil en 1999-2001), bien que son héros Loup Fresnel ne semble en rien inspiré par Arsène LUPIN.
Bialot y a ajouté une conclusion avec une enquête sur l'assassinat de Loup dans La Ménagerie : Entre chien et loup, son premier titre publié par Rivages/Noir en 2007, n° 635, 186 numéros avant le n° 821 qui lui serait en principe attribué pour son roman suivant chez Guérif.
En 2009, Bialot a publié 186 marches vers les nuages chez Métailié.
Il est aussi à souligner que Bialot est le premier détenteur du "fauteuil n° 15" de 813, ce qui en fait le plus ancien adhérent. Le seul numéro antérieur toujours attribué à son premier détenteur est le 1, déclaré incessible après la mort de Michel Lebrun.

J'ai lu peu de Tito Topin, et vais peut-être m'y remettre après la constatation que son numéro 813, 679, additionné de la gématrie 134 d'ARSENE LUPIN que j'ai vue omniprésente chez Leblanc, mène au total fatidique :
679+134 = 813
Ce lien vers le Gématron permet de vérifier les principales relations gématriques abordées plus haut.

Je rappelle que j'ai consacré de nombreuses pages de ce blog aux citations de 813 dans les films de Truffaut, répertoriées ici, n'ayant a priori à voir ni avec la 'pataphysique ni avec l'association 813.

En écrivant ceci ce 13 mai, j'écoutais d'une oreille les infos de 13 h à France-Inter. Ensuite vint l'émission La marche de l'histoire, consacrée à Belphégor, et l'invité venu en parler était Jacques Baudou, l'un des fondateurs pataphysiciens de l'Oulipopo et de 813.

PS du 5 octobre : je ne vois pas d'immédiat rapport avec le numéro 821 de Rivages/Noir devenu 813, mais il existe une autre bizarrerie 813-821 qu'un récent passage à la BPI de Beaubourg m'a remémorée.
Dans la classification décimale Dewey, le premier chiffre 8 correspond à la littérature, le second chiffre aux langues, et cet Américain a choisi le number one pour la littérature américaine. Dans la sous-catégorie suivante, 3 correspond à la fiction, et j'ai ainsi depuis longtemps remarqué sur des livres américains en VO que leur classification Dewey débutait par 813, ceci encore récemment en consultant Only Revolutions, de Mark Z. Danielewski, à l'occasion de l'écriture de Naccipolis sur Quaternité. Sa classification Dewey est 813/.54 22.
Cette classification est utilisée par la plupart des bibliothèques, mais la BPI en emploie une variante, la CDU (Classification décimale universelle) où la littérature américaine est cotée 821, ainsi la cote de Only Revolutions est-elleD'autres bibliothèques (universitaires notamment) utilisent la même classification, mais elle est en régression au profit de la CDD (Dewey) et les auteurs américains aujourd'hui cotés 821 pourraient être cotés prochainement 813 (comme dans les médiathèques publiques par exemple).

Tout ce que je vois à ajouter est que Rivages/Noir a d'abord publié essentiellement des romans américains (85% parmi les 100 premiers titres), dont la proportion a progressivement décru (moins de 50% pour les 100 derniers titres). Je m'émerveillais plus haut que les deux numéros 813 aient échu à des auteurs français, membres de 813, mais il aurait été peut-être plus frappant que le 821/813 ait échu à un roman américain, situé à la cote 813 ou 821 selon les bibliothèques.

PS du 7 décembre : Je pensais qu'Aleister Crowley était le créateur de la formule ARARITA, mais elle est bien plus ancienne et déjà mentionnée dans la Philosophie occulte d'Agrippa (1531), lequel l'a empruntée à des sources hébraïques antérieures.
Il semble en revanche acquis que ce soit Crowley qui en ait détourné le sens vers l'idée de permutation, et qui l'ait rendue synonyme de sa valeur numérique 813.
En France, Eliphas Lévi mentionne la formule dans Dogme et Rituel de la haute Magie (1854), critiqué par La Revue philosophique et religieuse en 1855, où je note ce commentaire, dont je ne sais s'il exprime la pensée de Lévi ou celle de son critique A. Vaillant:
C'est pourquoi les cabalistes hébreux le nomment et le nombrent par les sept lettres du mot ararita, ou comme dirait le caldéen, ararati, c'est-à-dire alta nox, haute nuit, nuit étoilée dont les sept astres du pôle sont, au septentrion qui les nomme, l'alta ratio, la haute raison de la lumière du jour (...)
Je remarque donc ararita devenant son anagramme ararati, et sa relation aux sept astres du pôle, soit à la Petite Ourse. Un autre roman de Leblanc, La Comtesse de Cagliostro, est fondé sur une énigme septénaire, dont la solution sera la Grande Ourse.
Je remarque encore la relation à la lumière, alors qu'il est assez connu, notamment de Crowley, que le 3e verset de la Genèse, Dieu dit "Que la lumière soit !", et la lumière fut., a pour valeur 813.