samedi 5 avril 2008

quinte et sens

Je me suis jadis, il y a plus de 20 ans, intéressé à l'hébreu biblique, ce qui m'a conduit à quelques découvertes que j'ai vainement essayé de publier, sans m'y acharner il est vrai.
J'ai appris récemment que le point de départ d'une de mes recherches avait été redécouvert, sujet d'une publication savante l'an dernier.

La Tora, le Pentateuque, débute par la création du monde et s'achève sur la mort de Moïse, au seuil de la Terre Promise. Moïse meurt à 120 ans, est-il précisé, et la Tora donne également les durées de vie de tous ses ancêtres paternels, jusqu'à Adam, or très peu d'autres personnages bibliques (5 dans la Tora) ont droit à cette précision. J'ai eu la curiosité d'additionner les âges de ces 26 patriarches d'Adam à Moïse, ce qui donne 12600 ans, résultat étonnamment rond au vu de l'hétérogénéité des nombres de la liste (cliquer ci-dessus pour voir un tableau réalisé jadis).
Lorsque j'ai découvert ceci voici environ 20 ans, j'ai d'abord été étonné de n'en trouver mention nulle part, tant il m'avait semblé aller de soi d'additionner ces âges. Mes investigations m'ont mené à comparer la liste biblique à la liste des règnes des rois de Sumer, offrant de nombreux points communs, règnes très longs avant le Déluge, décroissant ensuite jusqu'à des périodes raisonnables.
Il semble évident que le Pentateuque, écrit pendant le long exil des Hébreux en Assyrie, contient de nombreux emprunts aux us et croyances babyloniens, et l'article précité suit cette optique, interprétant les 12600 ans des patriarches selon la base 60 de la numération babylonienne.
L'article diverge ensuite de mon étude, qui a débuté par le constat que l'âge le plus "babylonien" de la liste est les 600 ans de Sem, premier patriarche après le Déluge, en harmonie immédiate avec les 1200 ans de règne du roi babylonien correspondant.
Or, Sem mis à part, il reste 25 patriarches vivant en tout 12000 ans, soit une moyenne d'exactement 480 ans.
600 et 480, ce sont 5 et 4 fois 120 ans, le dernier âge de la liste, celui de Moïse demeuré dans la tradition juive l'âge idéal que seuls quelques sages auraient ensuite atteint, mais jamais dépassé.
Les nombres 1, 4 et 5 constituent un ensemble symbolique important, particulièrement dans le Pentateuque formé du livre de la Genèse et des 4 livres de l'Exode, la Genèse débutant par la création de l'Eden d'où jaillit une source se partageant en 4 fleuves, l'Exode étant marqué par la disposition en 4 camps des tribus autour du Tabernacle, etc. Bref, je me suis demandé quel était le patriarche approchant au mieux la vie moyenne de 480 ans, et c'est sans hésitation Eber, avec ses 464 ans, 4e patriarche après le Déluge.

Ici débutent les réelles bizarreries, car ces noms Sem et Eber ont en hébreu des valeurs numériques traditionnelles, calculées en additionnant les valeurs des lettres dans le système numéral alphabétique propre à cette langue, et ces valeurs sont 340 et 272, soit 5 et 4 fois 68 (valeur du mot hayim, "vie").
Selon une translittération immédiate dans notre alphabet, les noms originaux hébreux deviennent
- SM = 300+40 = 340
-OBR = 70+2+200 = 272
or, selon la même translittération, les noms hébreux des nombres "cinq" et "quatre" sont HMS et ARBO, et une même transformation permet d'obtenir les noms précédents, en supprimant les lettres initiales, donnant MS et RBO qu'il suffit de lire à rebours pour retrouver SM et OBR, les noms de valeurs en rapport 5/4 des patriarches de vies en rapport 5/4...
...ou presque, mais un approfondissement sortant du cadre de cette brève présentation permettrait de trouver un sens aux exacts 464 ans d'Eber. Je laisse de même de côté toutes les suites données à ces premiers résultats, déjà fort dérangeants à eux seuls puisque l'état actuel de la connaissance voit l'alphabet numéral hébreu copié tardivement, peu avant le début de notre ère, sur la numération grecque équivalente.

Pour une minorité de fondamentalistes juifs, la Tora préexiste à la création du monde, identique à la lettre près au texte accessible aujourd'hui, écrite par Dieu Lui-même dans une Langue Sainte hors de portée de la science des goyim, comme de celle de la majorité raisonnable de leurs coreligionnaires. Malgré de multiples preuves de l'historicité du Pentateuque, quelques forcenés s'acharnent à en démontrer la sacralité grâce à des miracles textuels qui ne sauraient être que d'origine divine, ce qu'illustre par exemple l'affaire du "code biblique", dont un épisode a été l'ahurissante parution dans un journal sérieux de statistiques d'un article "prouvant" que les dates de naissance et de mort des grands rabbins étaient prédites dans la Tora.
Depuis, la question a donné lieu à une controverse acharnée à laquelle ne peuvent prétendre participer que les statisticiens de haut niveau se doublant d'hébraïsants érudits. Le grand public a surtout eu accès aux prédictions sensationnalistes de Michael Drosnin, en perte de crédibilité depuis que les conflits atomiques prévus pour 2000 puis 2004 n'ont pas eu lieu...
Le débat précité n'est cependant pas clos, et les fondamentalistes sont toujours à la recherche de "preuves" indiscutables, que leurs adversaires contesteront avec souvent un dogmatisme comparable, comme si la présence d'éléments "miraculeux" dans un texte pouvait démontrer sa nature divine.
J'ai pour ma part une certaine habitude de ces "miracles", que je rencontre aussi dans des textes résolument profanes, et la récente actualisation des 12600 ans des patriarches m'a poussé à divulguer quelques résultats aisément accessibles à partir du détail de la liste, afin de "prendre date" et d'éviter qu'une première exposition de ces remarquables convergences vienne appuyer des revendications outrancières.

Si mes lectures dans le domaine de la mystique juive ne m'ont apporté aucun écho au thème 5-4 relatif à Sem-Eber, j'ai découvert une curieuse légende unissant ces deux patriarches, apparue dès les premiers midrachim, ou commentaires rabbiniques, des premiers siècles de notre ère: Sem et Eber auraient fondé ensemble une yechiva, une école enseignant la Tora et son interprétation, où ils auraient notamment instruit les Patriarches Abraham, Isaac et Jacob.
Si la Bible ne fournit aucun détail sur Sem ou Eber, hormis leurs généalogies, ces noms se distinguent particulièrement de ceux des autres patriarches postérieurs à Noé et antérieurs à Abraham puisque Sem est à l'origine des Sémites, et Eber (jadis orthographié Héber) des Hébreux. Les noms propres ont toujours un sens immédiat en hébreu, et Sem signifie "nom" (il serait "antinomique" d'être antisémite) et Eber "autre côté" (ce qui est curieux puisque c'est la lecture par "l'autre côté" de Eber qui révèle sa correspondance quaternaire).

Ce billet peut trouver quelques échos avec l'avant-dernier, où il était question d'un livre construit sur les équivalences numériques des lettres N-I-L, épelées à l'envers.
Or la naissance de Moïse est étroitement associée au Nil, et son nom hébreu MSE se lit à l'envers ESM, soit ha-shem, "le nom", renversement du "nom" de son ancêtre Sem qui a vécu 5 fois ses 120 ans. Cette lecture apparaît fréquemment dans l'exégèse juive, car cette exacte formule ha-shem est celle employée couramment pour désigner "Le Nom" que le judaïsme interdit de prononcer, le Tétragramme JEWE, de valeur numérique 26, or Moïse ou MSE, 26e patriarche, est celui auquel Dieu a révélé son nom Tétragramme.
Ci-dessus une toile de 1900 de Maurice Denis, Moïse sauvé des eaux, comme l'a été Sem du Déluge 712 ans plus tôt (selon la lecture rabbinique des données bibliques, qui offrent d'autres possibilités).

Abstract:
Over 20 years ago, Blogruz saw that the lifespans of the 26 patriarchs, from Adam to Moses, add up to exactly 12600 years.
From the list of quite varied ages emerge Sem's 600 years, leaving 12000 years for the 25 other patriarchs, or 25 times 480 years.
600 and 480 are 5 and 4 times 120 years, Moses' lifespan, a model in Jewish tradition.
1-4-5 is a symbolic pattern, essential in the Bible, therefore it seems interesting to find which patriarch's lifespan comes nearest 480 years. That's Eber with 464 years.
Hebrew names of Sem and Eber, transliterated SM and OBR, have according to traditional gematria the values 340 and 272, 5 and 4 times 68 (value for Hebrew hayim, 'life').
Hebrew names for 'five' and 'four' are HMS and ARBO, of which SM and OBR may be similarly obtained (H-MS A-RBO > MS RBO > SM OBR).
There are actually two forms for each number, HMS and HMSE, ARBO and ARBOE. Values of HMSE and ARBO are 353 and 273, and the 600 years of Sem multiplied by 273/353 give almost exactly the 464 years of Eber (precisely 464.02...)
Although nothing of this above appears in Jewish exegesis of the Tora, old midrashic comments associate Sem and Eber, supposed to have run together an academy for teaching Tora.

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