Mercredi dernier, j'ai emprunté à la médiathèque de Digne le DVD Ma Nuit chez Maud, de Rohmer. Je m'intéressais à ce film depuis que j'ai appris qu'on y voit Notre-Dame du Port, l'église de Clermont-Ferrand à laquelle Guy Mourlevat a consacré un livre entier (aujourd'hui introuvable), Géométrie et symbolisme dans une église romane (1993).
Cette géométrie serait celle du nombre d'or, un de mes sujets de prédilection. J'ai dénoncé ici l'imposture selon laquelle le nombre d'or aurait été le guide essentiel des bâtisseurs romans, mais le livre de Mourlevat n'a rien à voir avec les tristes affabulations sur la question. Ses observations sont pertinentes et pourraient constituer de bons arguments, mais ce qui m'intéresse d'abord est le nom de cette église, en résonance immédiate avec La Marie du Port, titre d'un roman de Simenon dans lequel j'ai trouvé des rapports tout à fait irrationnels au nombre d'or, dans une importante étude débutant ici. Or voici que je découvre aussi des rapports au nombre d'or dans Ma Nuit chez Maud, qui ne sont d'ailleurs pas tous forcément involontaires, mais je ne crois pas qu'à l'époque du film (tourné en décembre 68) quiconque associait spécialement le nombre d'or à ND du Port.
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Elle est divorcée, à la suite d'une aventure de son mari avec une jeune fille. Jean-Louis cède presque à la tentation, puis se reprend au dernier moment...
Ceci semble lui avoir donné le courage d'aborder Françoise, puis de la demander peu après en mariage. Elle lui dit qu'elle a eu un amant, il prétend que lorsqu'il l'a abordée il sortait du lit d'une femme... Oublions le passé...
Quelques années plus tard, le couple qui a cru et multiplié rencontre Maud, et il s'avère que Françoise était celle qui avait été la maîtresse du mari de Maud.
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Je me fiche de la morale de ce 3e des Contes Moraux, et en viens au nombre d'or.
Pendant près de 2 minutes, en plusieurs plans fixes identiques, nous voyons le prêtre célébrer la messe à ND du Port. L'image est en 4/3, mais l'autel la coupe en un rectangle d'or presque idéal (j'ai très légèrement rogné l'image pour idéaliser les proportions dorées).
Au centre de ce rectangle d'or horizontal, les deux colonnes encadrant le prêtre délimitent un rectangle d'or vertical, presque idéal aussi. Juste au-dessus de la zone où officie le prêtre le rebord au-dessous du vitrail fait de cette zone un carré parfait, et selon le principe même de l'harmonie d'or cette ligne correspond à la section d'or du rectangle vertical.
A la fin de la messe, Jean-Louis suit Françoise dans les rues de la ville, décorées pour Noël, essentiellement de pentagrammes étoilés, le signe de reconnaissance des initiés pythagoriciens selon Ghyka. Les étoiles ne sont évidemment pas rares à Noël, mais il n'est pas obligatoire qu'il s'agisse de ce pentagramme, la seule figure simple dans laquelle le rapport d'or est immédiat.
En ne comptant pas les 58 s du générique, ce temps correspond à 6274 s dont la section d'or (en multipliant par 0.618) est 3878. On y rajoute les 58 s du générique pour obtenir 3936, soit 01:05:36, ce qui tombe à 11 secondes près du temps affiché ci-dessus par le compteur du logiciel, 01:05:47, à la fin de la nuit chez Maud proprement dite, à l'instant exact où la porte de son appartement se referme sur Jean-Louis.
Il n'y a pas beaucoup de sens à chercher une telle précision, qui ne serait remarquable que si Rohmer n'avait pas planifié ce découpage. Pour qui ne le saurait pas, je signale que Eisenstein en personne, un des géants du cinoche, a écrit dans Le film : la forme, son sens qu'il avait monté chaque séquence du Cuirassé Potemkine pour y magnifier les climax apparaissant aux deux sections d'or temporelles. Il est difficile de retrouver dans le film cette intention avouée, probablement parce que d'autres impératifs l'ont concurrencée.
En revanche, sans être trop tatillon et en comptant en minutes, la "nuit chez Maud" proprement dite s'inscrit assez idéalement entre les deux sections d'or du film homonyme, durant donc environ 105 mn, générique compris ou non, ce qui conduit à un découpage 40-25-40. C'est à la fin de la 40e minute que Maud se met au lit, créant un climat équivoque, franchement torride 3 mn plus tard lorsque elle et Jean-Louis se retrouvent seuls, et c'est au début de la 66e minute que Jean-Louis s'abandonne une seconde aux caresses de Maud, avant de la repousser, ce qui conduit quelques secondes plus tard au départ sur l'image ci-dessus.
Au niveau de l'espace, il serait plutôt normal qu'un réalisateur amateur de plans fixes, comme Rohmer, y utilise le nombre d'or, qui passe pour un parangon d'harmonie (enseigné dans les écoles d'art).
Ce qui est réellement étonnant, et qui le serait donc encore plus si ces harmonies d'or dans le temps et l'espace sont fortuites, c'est qu'elles surviennent dans un film magnifiant ND du Port, l'église qui inspirera un livre entier à un amateur du nombre d'or. La scène où Françoise accepte l'amour de Jean-Louis se passe dans un pré au-dessus de Clermont, et débute par un plan où la flèche de ND du Port se situe à la section d'or gauche de l'écran. [Erreur ! MR me signale qu'il s'agit du clocher de Sainte Eutrope, la scène étant tournée dans le parc de Montjuzet.]
ND du Port [plutôt Sainte Eutrope donc] est la première église, devant la cathédrale. On remarque que l'axe idéal (ma photo est un peu de travers) de la flèche de l'église passe entre les deux flèches de la cathédrale. La section d'or verticale tombe presque exactement à la base de cette flèche. Le couple occupe de plus presque exactement l'espace entre les sections d'or gauche et droite de l'écran
Mais ce n'est pas fini, et ce qui suit a vraiment peu de chance d'être intentionnel.
L'objet de la quête du trop catholique héros est ici Marie-Christine Barrault, dont le nom a une propriété remarquable. En faisant correspondre chaque lettre a son rang alphabétique (A=1, B=2, etc.), on obtient pour les valeurs des nom et prénom deux nombres en rapport d'or optimal :
BARRAULT = 93
MARIE-CHRISTINE = 151
93/151 = 0.616 (la section d'or est 0.618)
Je suis très familer des relations de ce type, dites "gématriques", qu'on peut vérifier grâce au Gématron en ligne développé par mon ami Gef.
Cette familiarité me permet d'affirmer que les harmonies dorées parfaites sont rares pour des nom-prénom réels, de l'ordre d'1 sur 100 grosso modo, et qu'elles sont plus rares encore lorsque les noms s'allongent, ce qui me permet de conjecturer qu'il est peu probable qu'une autre actrice de premier plan ait un nom "long" offrant la même harmonie.
Il me semble que les noms des acteurs choisis par Rohmer ne sont pas indifférents, en tout cas ceux des personnages qu'ils incarnent semblent en rapport avec ceux des acteurs.
Ils ne sont connus en fait que par leurs prénoms, Jean-Louis et Maud pour les "vieux" (ils ont 38 et 36 ans lors du tournage). Le prénom Maud ressemble à Madeleine, or la petite Barrault est alors surtout connue par ses célèbres parents, Jean-Louis Barrault (son oncle) et Madeleine Renaud (sa tante par alliance).
Peut-on alors considérer comme un hasard que MC Barrault joue le personnage de Françoise, le prénom de l'actrice qui incarne sa double rivale Maud ?
Quant à son vrai prénom, Marie-Christine, difficile de faire plus catho, et elle fréquente Notre-Dame en plus. Elle a alors 24 ans bien sonnés, ce qui n'est pas loin de la section d'or idéale des 38 de Trintignant (23 et demi). Les personnages revendiquent 34 et 22 ans, ce qui est encore presque bon, mais pas idéal (34-21 ou 35-22).
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Autre chose encore, Jean-Louis conduit une R16 immatriculée 935 MH 63. Les lettres H et M correspondent aux rangs 8 et 13, en rapport d'or mieux qu'optimal car ce sont des nombres de Fibonacci. Ils me sont particulièrement évocateurs car cette page est consacrée au tic de Truffaut consistant à glisser le nombre 813 dans ses films. Si ceci est certain, je m'y interroge sur la possibilité de l'expression de 813 dans certains films par les lettres HM.
Ma Nuit chez Maud est coproduit par les Films du Carrosse, la boîte de Truffaut.
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Enfin il faudra me croire sur parole pour une dernière coïncidence, totalement irrationnelle.
Je suis en train d'écrire une page où il est question de coïncidences sur le nom Arnoux. Au départ il y a le mathématicien Pierre Arnoux, auteur d'une belle conférence sur le nombre d'or à la Cité de la Villette, qu'on peut revoir ici. Il y a ensuite deux autres Arnoux dont il sera question sur la page en cours, et puis dimanche dernier, qui était le jour de Pâques, pensant à ce nom au cours d'une balade digestive, il m'est venu son anagramme Ranoux, que j'étais sûr d'avoir déjà rencontrée.
Me creusant la cervelle j'en ai extirpé Marie-Christine Ranoux, dont ma familiarité avec les nombres m'a bientôt montré qu'il s'agissait d'un nom de valeurs 151-93, en rapport d'or idéal.
Je n'ai pas réussi à mieux identifier ce souvenir. Dès mon retour à la maison j'ai lancé une recherche parmi mes archives informatiques, puis sur Google, sans résultat.
Plus tard il m'est revenu que cette Ranoux devait être Blandine Ranoux, claveciniste de talent (c'est en fait Blandine Rannou). Je n'ai aucune idée de comment le prénom Marie-Christine a pu me venir à l'esprit, ce n'est que 3 jours plus tard que le hasard m'a fait tomber sur Ma Nuit chez Maud.
Incidemment, Eric Rohmer est né le 4 avril 1920, qui était aussi un dimanche de Pâques.
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