mercredi 13 février 2008

813

Truffaut m'est plus sympathique que Rohmer, et ses films recèlent aussi des curiosités.

Son tic de citer le nombre 813 a déjà été repéré, mais je suis à ma connaissance le seul qui ait tenté d'approfondir cette manie, sur cette page où je recense tous les cas connus, actualisée à chaque nouvelle découverte. Je vais résumer ici quelques points de cette étude, en mettant l'accent sur le nombre d'or, dominante de ce blog.

Je viens de voir Mata-Hari agent H21, dont la mise en scène est signée Jean-Louis Richard et le scénario Truffaut, mais il est très probable que ces proches amis et collaborateurs se soient partagés les rôles comme ils l'ont fait pour d'autres films signés Truffaut-Richard. Le DVD m'a permis de confirmer ce que j'avais vu lors de la diffusion TV, la scène-clé (c'est le cas de le dire) de l'ouverture d'un coffre dont le chiffre est 381 813 se situe à la section d'or du film.

Sans s'être expliqué sur le tic 813, Truffaut a confié son admiration pour le roman "813" de Maurice Leblanc, où ce nombre énigmatique est la clé d'une cache ménagée dans une horloge, cache s'ouvrant lorsque les aiguilles indiquent midi (1+3+8) et que sont enfoncés simultanément les picots correspondant aux heures 1-3-8. Ainsi ce n'est pas le nombre 813 qui est important en lui-même, mais les chiffres le composant, ce qui est peut-être la raison du doublement de 813 par la permutation 381, laquelle pourrait encore être significative: dans l'alphabet, les lettres de rangs 3-8-1 sont C-H-A, syllabe féline, or Truffaut a souvent montré des chats dans ses films, notamment dans celui-ci où Mata-Hari prend le temps de caresser un chat blanc dans une ruelle de Montmartre. En cette même année 1964 sort La Peau douce, où la scène du chaton lapant son lait sera reprise dans La Nuit américaine et dans L'Homme qui aimait les femmes.

Dans La Peau douce, scénario de RiCHArd, Desailly et Dorléac deviennent amants dans la CHAmbre 813...

Dans Mata-Hari, 94'28" sur le DVD, le climax est donc l'ouverture de ce coffre survenant vers la section d'or du film, idéalement à 58'23". L'image ci-dessus (cliquer pour agrandir) est prise à 58'01", Jeanne Moreau est en train de manipuler les molettes, selon le chiffre que lui a, fort imprudemment, copié son chef sur une affichette publicitaire de son spectacle. Elle achève de composer la combinaison, introduit la clé qu'elle vient de voler au colonel commandant la caserne, et le suspense est à son comble lorsque, au temps 58'22", un soldat rentre dans la pièce et semble remarquer quelque chose du côté du coffre... Il s'avance, mais c'est pour remettre à l'heure une pendule murale à l'obsédant tic-tac; 3 heures sonnent tandis qu'il s'éloigne, et que Mata-Hari ouvre le coffre pour y voler les plans convoités, mais dans son émoi elle oublie l'affichette compromettante qu'elle avait posé sur le coffre lors de l'entrée du soldat.
Il s'agit probablement d'une allusion au roman "813", où l'ouverture de la cache recelant d'importants documents se déclenche lorsque l'horloge sonne ses douze coups.

J'avais copié l'image ci-dessous, deux minutes plus tôt, où la combinaison 381 813 est plus lisible, et ce gros plan m'a révélé un détail que je n'avais pas perçu, la combinaison est gravée sur la clé du coffiot ! Ce qui ne serait vraiment pas malin du tout dans la réalité, mais constitue un nouveau clin d'oeil de Truffaut.


J'ai commandé ce DVD parce que je venais de voir La mariée était en noir (1967), diffusé la semaine précédente par Arte. La citation 813 y apparaît également à la section d'or, avec autant de précision que j'ai pu en juger selon les conditions de cette diffusion: la justicière Julie téléphone avant de prendre son avion, tandis que des haut-parleurs annoncent le décollage imminent du vol 813. Quelques secondes plus tard, dans ce vol 813, Julie sort un carnet sur lequel figurent les 5 noms des hommes qu'elle a décidé de tuer: les deux premiers noms sont déjà barrés, et Jeanne Moreau, encore elle, barre le suivant. 3 sur 5, on sait que ce rapport de Fibonacci a été suffisant à Eisenstein pour assurer que son Cuirassé Potemkine était structuré selon le nombre d'or, alors que son climax, le hissage du drapeau rouge, tombe très approximativement à la section d'or du film. Curieusement, la 3e victime est interprétée par Michael Lonsdale, acteur déjà mentionné sur ce blog à cause de son nom doré.

Les nombres de la suite de Fibonacci suivant 3 et 5 sont 8 et 13, et il me semble que Truffaut s'est livré à une citation puzzle de 813 en le démembrant : Julie rencontre sa 2e victime dans la loge 8 à l'opéra, et la 4e au 13 rue de la Némésis (!). Je ne crois pas que d'autres nombres soient mentionnés dans le film, à part ceux marquant la progression des meurtres et les triviaux "un" et "deux".

Outre Jeanne Moreau et une citation 813 à la section d'or, Mata-Hari et La Mariée... ont en commun un même format d'image, 1.66 ou 5/3, le format le plus proche du nombre d'or. J'incline à penser qu'il s'agit de coïncidences, n'ayant décelé aucune structure complète dorée (avec les deux sections d'or bien marquées) chez Truffaut. Le seul autre point que j'ai noté concerne cependant le seul autre film où joue Jeanne Moreau, Jules et Jim (1962), où je n'ai pas vu de citation 813: c'est assez exactement à la petite section d'or que l'amitié avec Jim devient visiblement de l'amour, avec un premier baiser. Ainsi les seuls indices dorés chez Truffaut concernent Jeanne Moreau, or Moreau est aussi le nom de deux autres personnages apparaissant dans mes enquêtes dorées, voir mon billet Thoiry-Odessa.

Dans Fahrenheit 451 (1966), les principaux personnages habitent le bloc 813, et le héros Montag est fiché sous le numéro 381 813, la combinaison du coffre de Mata-Hari...

Lorsqu'il rencontre l'héroïne, celle-ci lui demande "451 ? Pourquoi pas 813 ?", en anglais où ces nombres sont exprimés par les séquences de chiffres, 4-5-1 (four-five-one) et 8-1-3 (eight-one-three). Si Truffaut n'est pas un affabulateur, ceci constituerait une coïncidence exceptionnelle car il confie avoir joué une seule fois au tiercé, en 1971, désespéré par l'énormité des droits de Une belle fille comme moi qu'il voulait adapter. Il proposa bien entendu le tiercé 8-1-3, mais la combinaison gagnante fut 4-5-1...

Deux ans après La Mariée était en noir, Truffaut a adapté une autre oeuvre de William Irish, La Sirène du Mississipi, où il y a aussi deux citations 813, la seule visible à l'écran étant cette inscription au-dessus du lit où Marion (Catherine Deneuve) se prépare à accueillir amoureusement son mari (Bébel). Dans l'autre film où Truffaut a fait jouer Deneuve, Le dernier métro (1980), il lui a aussi donné le nom Marion, et son partenaire Depardieu lui donne la même réplique que dans La Sirène, à propos de l'amour: "c'est une joie... et c'est une souffrance". Le film abonde en citations 813, mais elles sont toutes orales, la dernière étant la voix off de Truffaut lui-même énonçant que le mari de Marion est resté caché 813 jours et 813 nuits dans la cave de son théâtre.

J'ai longtemps cru que Truffaut avait adapté deux romans de Irish parce que celui-ci était aussi l'auteur d'une novelette intitulée Le mystère de la chambre 813, mais je viens d'apprendre qu'il s'agit d'un texte traduit en français postérieurement à la réalisation des deux films, et que Truffaut n'avait pu être influencé par ce 813 qui est une initiative du traducteur, le titre de la nouvelle originale étant Mystery in room 913 (!) ou encore The room with something wrong (!!!).

Je rappelle que cette page contient tous les cas 813 recensés jusqu'ici chez Truffaut et leurs références. Elle est actualisée à chaque nouveau cas signalé.

En guise de lien avec le billet précédent, autour du 11-43 récurrent chez Perec, voici deux débuts de paragraphes successifs du chapitre 90 de La Vie mode d'emploi:

Les statistiques les plus déconcertantes circulent sur le compte de ce personnage: on dit qu'il emploie quarante-trois jardiniers à plein temps, (...)

Selon certains, il possède onze mille cravates et 813 cannes, (...)


Ce billet est dédié à 381, qui se reconnaîtra.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Très intéressant, merci :-)