lundi 11 février 2008

11-43

Chaque 11 février les fervents amateurs de Perec ont une pensée émue pour Cécile Perec, sa mère, embarquée le 11 février 1943 dans un train pour Auschwitz d'où, comme beaucoup d'autres, elle ne revint pas.

Bernard Magné, phare de la pérécologie française, a vu dans l'oeuvre de Perec une redondance significative des éléments de cette date tragique, essentiellement 11 et 43, puis les exégètes se sont jetés dans cette brèche, débusquant immanquablement l' "autobiographème 11-43" dans chaque texte de Perec, sinon dans chaque ligne. S'il y a eu des exagérations dans cette quête, elle a révélé des curiosités propres à faire chavirer la raison la plus cartésienne. Je ne citerai que le poème Noce, déjà abordé ici pour sa structure dorée, composé pour le mariage de ses amis Kmar et Nour. Il se compose de deux types de strophes, en alternance, les strophes impaires utilisant les lettres de l'épouse, Kmar Bendana, et incorporant une à une les lettres de l'époux, Noureddine Mechri, les strophes paires réalisant l'opération inverse.

Les strophes impaires comptent 594 lettres, réparties en 473 lettres du nom Kmar Bendana (en 11 lettres débutant par la 11e lettre k), soit 11x43, et 121 lettres ouich empruntées à l'époux, soit 11x11. Ce n'est que l'une des particularités 11-43 de l'ensemble du poème, mais ses brouillons démontrent que Perec ne s'est livré à aucun dénombrement en l'écrivant, dans l'urgence.

Une autre coïncidence de ces Noce(s) est que les 594 lettres des strophes impaires et les 870 des strophes paires se réarrangent en deux Cône(s) complémentaires, ce qui a inspiré les brodeuses perecquiennes dont il était question dans un billet de novembre. Depuis, Elisabeth Léthier m'a envoyé la photo de cette réalisation, dont le décodage par couleurs est esquissé ici.

J'en viens à ce qui a motivé ce billet, la diffusion sur TF1, à cheval sur les 10 et 11 février, de Paycheck, film de John Woo inspiré d'une nouvelle de PK Dick. Je n'apprécie guère les trépidations de Woo, mais Dick était une raison suffisante pour être au rendez-vous.

J'ai suivi d'un oeil assez attentif pour relever quelque chose ressemblant à 1143, ce qui s'est trouvé confirmé trois jours plus tard en regardant le DVD. Si je n'ai pas songé dimanche à regarder l'heure, le film était programmé à 23h20, et c'est à 24 mn du début que John Affleck sort de ce taxi Northwest 01143, ainsi c'est vers 11h43 PM que j'ai vu ce 1143, à quelques minutes du 11 février.
Je me suis ensuite aperçu que, en prononçant le ch de Paycheck à l'allemande, on obtenait Pairec...

Alors que j'apprécie Perec depuis à peu près toujours, ayant lu Les Choses à 15 ans au moment de sa parution, mon auteur favori a longtemps été Dick, et je vois quelques points communs entre les deux hommes, hormis le fait qu'ils soient morts à un jour de distance, les 2 et 3 mars 1982, ce qui a notamment empêché Perec d'écrire le roman de SF qu'il prévoyait, et dont on ne saura donc jamais rien...

Alors que c'est un sujet d'intérêt nouveau pour moi, j'ai découvert que Dick comme Perec avaient été passionnés par le nombre d'or et les suites de Fibonacci, notamment à la fin de leurs vies. Chez Dick la première allusion est implicite, dans A Scanner darkly (1977, Substance Mort), où un certain Tony Amsterdam est dit avoir vu un seuil vers un autre monde, d'une forme rectangulaire caractéristique qui le hantera ensuite, parce qu'il n'a pas osé franchir ce seuil. Il faudra attendre Valis (Siva) ou d'autres textes pour savoir qu'il s'agissait d'une expérience effective de Dick, et que ce seuil était un rectangle d'or.
Ce passage n'a pas été retenu dans l'étrange film A Scanner darkly, de Richard Linklater (2006), dont chaque image a été redessinée après un tournage avec de réels acteurs (Wynona Rider, Keanu Reeves...), mais j'y ai vu un nombre de 4 chiffres évocateur, du moins dans le système métrique.

Keanu Reeves, alias Bob Arctor, alias Fred, alias Dick..., dépend donc de ce commissariat 5236, qui ne peut manquer d'évoquer aux connaisseurs hexagonaux la "coudée royale" de 52,36 cm, l'une des 5 mesures de la "Quine des bâtisseurs romans", fantasmagorique élucubration explorée ici en décembre, vraisemblablement suscitée par la Série Rouge du Corbusier, dont les premières mesures utilisées sont 27-43-70-113-183 cm. Cette série additive de type Fibonacci peut être poursuivie en amont, ses premiers termes étant 5-11-16, ne présentant plus de rapport doré significatif, mais Perec semblait privilégier l'aspect additif, ainsi s'émerveillait-il devant le fait que les numéros de ses trois adresses parisiennes successives, 18 (rue de l'Assomption), 5 (rue de Quatrefages), et 13 (rue Linné) forment une série de Fibonacci, pour l'unique raison que 5+13=18.

Je m'émerveille pour ma part, peut-être tout aussi naïvement, que les nombres 11 et 43 puissent appartenir à une série de Fibonacci non quelconque, la Série Rouge étendue débutant donc par 5-11-16-27-43, et que ces nombres se retrouvent dans le poème Noce de Perec:
- Il est construit sur les noms en 11 et 16 lettres des fiancés, Kmar Bendana et Noureddine Mechri.
- Il commence par deux vers totalisant 11 mots et 43 lettres, réparties en 16 et 27 lettres:

Ma dame d'ambre rare

Armada amarrée en rade de Madère

Ce n'est pas tout, et je rappelle que les brouillons démontrent qu'il n'y a rien ici d'intentionnel, bien qu'ils montrent aussi que Perec était préoccupé par les suites de Fibonacci lors de la composition.

Il y a peut-être plus curieux. L'an dernier, un visiteur de mon site m'a contacté, à propos des 594 lettres du cône Kmar, parce que 594 est la moitié de 1188, valeur en mm de l'aune. Voulant vérifier la chose, j'ai découvert que la fonction calculatrice de Google retourne pour le mot "aune" ceci : 1 aune = 1,14300 mètres. C'est la valeur de l'aune anglaise, mesure toujours en usage qui correspond à 45 pouces, alors que la demi-aune française peut se lire, chez Perec du moins, 11 fois 11+43.

Etrange écho chez Dick, puisque "aune" vient du latin ulna, "coude" ou "avant-bras", et que cette mesure très variable est donc étymologiquement identique à la "coudée". Ainsi les deux nombres que j'ai remarqués dans les deux adaptations de Dick peuvent-ils correspondre à des mesures liées au coude ou bras.

Ma découverte de la valeur de l'aune passa par une première requête "1188 aune", à laquelle Google répondit en premier "1 188 aune = 1,357884 kilomètres", soit 1358 m ce qui m'apparut alors comme une coïncidence remarquable.
J'ai d'abord pensé devant le Precinct 5236 de A Scanner darkly que ce nombre énorme exprimait la progression vertigineuse d'un état policier, mais un mois plus tard la vision de L'Heure magique de Robert Benton (1998) m'a fait comprendre qu'il s'agissait beaucoup plus vraisemblablement de l'adresse du commissariat, comme on dit "le 36" à Paris pour le quai des Orfèvres. Cette scène montre probablement le vrai commissariat d'Hollywood, sis au 1358 N. Wilcox Avenue.

La coïncidence 1358-1143 passant par 5236 est assez tortueuse pour que je n'essaie pas de la développer plus avant. Il y a beaucoup plus immédiat.

J'ai donc commandé le 11 février Paycheck à mon loueur en ligne de DVD. Mon abonnement me permet de recevoir deux DVD, choisis par le loueur parmi quelque vingt titres demandés par moi, selon les disponibilités. J'ai reçu le 15 Paycheck avec Le mystérieux docteur Korvo, d'Otto Preminger (1949). J'ignorais que j'allais recevoir ces DVD ensemble, et surtout que le second, que je n'avais jamais vu, contenait un autre 1143:

En VO, ce 23 h 43 est 11:43 pm, eleven forty-three pm. L'image ci-dessus est prise au temps 43:17 du film. C'est la fin de l'interrogatoire de Gene Tierney, arrêtée le 3 juin 1949 dans une pièce où quelqu'un vient d'être assassiné, alors qu'elle n'a aucune idée de comment elle est arrivée sur les lieux.


Enfin ce billet affiche(ra) après sa fin la ligne

Publié par blogruz à l'adresse 22:43

et je confesse que ce n'est pas tout à fait un hasard. C'est l'heure (californienne) où j'ai commencé ce message le 11 février, et il m'arrive souvent de choisir ce moment en fonction de mon sujet. J'aurais voulu prendre 11:43 mais ai laissé passer le bon moment. J'ai ensuite hésité entre 22:43 (11x2 pour le 11/2) et 23:43 (11:43 pm) et choisi le premier, surtout de peur de rater le second. J'aurais donc pu commencer ce billet à 23 h 43, ignorant évidemment que j'allais découvrir le "Terminé à 23 h 43" de l'image ci-dessus.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

pourquoi pas:)