mercredi 12 mars 2008

code Anar

Le 5/3 dernier, où j'avais Santa Ana de Dick en tête, et où j'ai emprunté à la médiathèque de Digne le n° 408 de La Recherche avec la solution du problème Leroy des aulnes, ainsi que le roman de Brigitte Aubert où figurait l'expression kojh ito anah, j'ai eu l'idée de regarder la cote ANA dans les romans: il n'y avait qu'un titre, Atlas des continents brumeux, premier roman du turc Ihsan Oktay Anar (1995, traduit en français en 2001).

J'ai un peu tardé à le lire, d'abord frappé par cette cote R - ANA, lue Rana, la grenouille latine. Dans La Race à venir de Bulwer-Lytton, le mot Ana désignant cette race est dit se prononcer "arna", or selon la mythologie des "arna" ils descendraient des grenouilles.

Le roman se lit bien, malgré un certain foisonnement. J'y ai trouvé un petit écho à mes préoccupations "Ana", mais la principale curiosité retenue est un code utilisant pour clé les 666 premières décimales de Pi, ce qui me rappelle fortement le film Pi d'Aronofsky, tournant autour d'un nombre divin secret composé de 216 chiffres, 216 étant le cube de 6, soit 6.6.6.
La connaissance de ce nombre devient un enfer pour le héros Max Cohen, qui se trouve contraint, pour échapper à tous ceux qui veulent la lui extorquer, de s'autolobotomiser. On voit plusieurs séquences de 216 chiffres dans le film, dont celle-ci, copiée peut-être à dessein sur un tract indiquant

86% d'exactitude
(Seul Dieu est Parfait)

Le film contient diverses allusions à la gématrie, technique attribuant des valeurs numériques aux mots hébreux, selon laquelle le mot Dieu, Elohim, a pour valeur 86. Par ailleurs il s'achève sur deux opérations dont Max est incapable de donner le résultat, une multiplication donnant 46665 (avec la séquence 666), et une division donnant 3,14..., l'approximation courante de Pi.
J'avais déjà vu un curieux réseau de coïncidences entre les oeuvres d'Aronofsky, Werber, Danielewski, à propos de ces nombres 666 et 216, et voici que ce cher Anar s'y joindrait, par un nouveau hasard puisqu'il est peu probable qu'Aronofsky ait connu le roman turc de 1995.

Je n'ai trouvé qu'un article en ligne sur le roman d'Anar, ou plutôt sur sa 4e de couverture car rien dans l'article n'indique que son auteur ait ouvert le livre (il ne serait pas le seul critique dans ce cas). Ce canadien utilise la citation de Camus "Ce sont les rêveurs qui changent le monde, les autres n'en ont pas le temps.", figurant sur la 4e de couverture, pour parler d'autres livres sur les mondes virtuels qu'il a l'air de mieux connaître, notamment Internet, où Nicolas Bonnal compare le fameux www (world wide web) au 666 de l'Apocalypse, parce que le waw, à l'origine de notre w, est la 6e lettre de l'alphabet hébreu. Incidemment, cette interprétation a déjà été donnée à propos du 666 original, qui aurait désigné Hérode, dont l'orthographe grecque Hôrôdôs s'écrit exceptionnellement avec 3 omégas, correspondant à 3 waw hébreux.
Quoi qu'il en soit, si j'ai bien raison de supposer que ce critique n'a pas lu l'ami Anar, c'est une belle curiosité de trouver dans cette courte chronique la mention d'un autre 666.

J'ai éprouvé un frisson au début de Atlas des continents brumeux en découvrant qu'une traduction en turc du Discours de la méthode y joue un rôle important. J'avais une bonne chance de trouver un cogito dans cet Anar emprunté en même temps que le kojh ito anah dans le roman exotique d'Aubert... Ce ne fut pas le cas, et la seule allusion à la formule de Descartes est donnée sous la forme "Je pense, donc ils sont", car le roman exploite le thème du monde rêvé par un unique individu réel.

Il y eut toutefois un écho deux jours après ma lecture d'Anar. Feuilletant (par hasard dirai-je) Coïncidences - Hasard ou Destin, livre dont le titre m'horripile (ou face) tant qu'il est caché dans un coin peu accessible, j'y trouve de son coauteur Michel Granger un essai sur la synchronicité où il utilise l'expression "J'y pense, donc ça suit".
Belle expression, et surtout bel écho au kojh ito anah de B. Aubert. Malgré le titre calamiteux le livre recense des tas d'anecdotes intéressantes, quoique souvent invérifiables. Je suis particulièrement frappé par le cas page 34 de Yves Bertin, tiré du Invitation au château de l'étrange, de Claude Seignolle.
Ce Bertin a donc remarqué 3 fois le même jour des voitures immatriculées 3411, son matricule dans la marine. Y voyant un bon augure, il a alors joué le tiercé 3-4-11, qui n'a pas été gagnant, alors que la même page de journal donnait les résultats du tirage de la Loterie Nationale, attribuant 500 F aux billets se terminant par 3411.
Ceci m'a rappelé mes messages de février, sur les nombres fétiches (ou supposés) de Perec et Truffaut, 1143 et 813. Je citais le cas de Truffaut composant en 70 l'unique tiercé de sa vie, 8-1-3, pour voir gagner le 4-5-1, alors qu'il avait fait dire à Julie Christie en 1966 "451, pourquoi pas 813 ?"
On aura remarqué que 3411 constitue le renversement du 1143 de Perec, et, de fait, il est supposé que ces formes étaient équivalentes pour ce champion du palindrome. S'il ne s'est pas exprimé directement sur cette question du 11-43 qui n'a été découverte qu'après sa mort, il a révélé explicitement l'expression de sa date de naissance le 7 mars par les combinaisons 73 et 37.
Bertin est cité pour deux séries de coïncidences, sur 3411 et sur le 17 janvier, date revenant dramatiquement dans sa vie. Certains exégètes de Perec ont proposé de retenir également 17 comme nombre réglant son oeuvre, à cause du 17 janvier 43, jour où sa mère a été raflée, avant d'être envoyée vers Auschwitz le 11 février 43.
Quatre des 17 janvier de Bertin concernent des morts dans son entourage, mais son 17 janvier 66 concerne un événement célèbre: alors que le navire qu'il commandait croisait au large de Palomares, un avion US s'abîma dans la mer avec ses quatre bombes A. C'est en 1966 qu'est sorti Fahrenheit 451 de Truffaut, ainsi que Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour, le second roman de Perec, où apparaît le 11-43 le plus immédiat de son oeuvre, avec 11 psychocolonels associés à 43 cm de sonde javellisée...
Palomares (écrit Polomares dans ce livre bourré de coquilles) signifie "colombiers" en espagnol, ce qui m'évoque l'affaire ours-colombe, d'autant que les noms Bertin et Aubert contiennent la syllabe ber (Bär = "ours" en allemand, bien qu'il s'agisse ici d'une autre étymologie).
Une autre coquille du livre coécrit par Michel Granger a retenu mon attention. Trois semaines avant l'attentat de l'IRA qui coûta la vie en 79 à Lord Mountbatten, paraissait "une nouvelle écrite par l'Américain Bill Granter, The November Man", où était déjoué un attentat très similaire contre un Lord cousin de la Reine. Il se trouve que j'ai lu ce roman, écrit par Bill Granger, portant donc le même patronyme que Michel Granger. Vérifiant la chose avec la requête "Bill Granger Mountbatten", le premier résultat est un article du Chicago Sun-Times du 11 février 86, évoquant une nouvelle prédiction dans le sixième roman de Granger, à propos de Haïti reconnaissable dans l'île des Caraïbes St-Michel du roman. Et voici Michel chez Granger!, et un autre 11 février, 43 ans après celui de 43.

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