J'ai trouvé le 1er juin un Laurie King d'occasion, Hantises, dont je n'avais pas repéré la parution en 2003, chez Ramsay, alors que son premier éditeur était Albin Michel.
J'apprécie les romans de Laurie King, pour leur qualité psychologique, et aussi parce que son premier roman était si riche en coïncidences que j'avais pensé que Laurie King ("laurier roi") était un nom calqué sur celui de mon auteur favori, Ellery Queen ("aulne reine").
J'apprécie les romans de Laurie King, pour leur qualité psychologique, et aussi parce que son premier roman était si riche en coïncidences que j'avais pensé que Laurie King ("laurier roi") était un nom calqué sur celui de mon auteur favori, Ellery Queen ("aulne reine").
Dans Un talent mortel (1996 en France), la peintre Vonnie Adams est assassinée dans une petite communauté en dehors du monde, un de ses tableaux représentant son cousin en train de scier du bois est mentionné.
Dans Le village de verre (1954), d'Ellery Queen, la peintre Fanny Adams est assassinée dans une petite communauté en dehors du monde, un de ses tableaux montrant un tas de bûches constitue l'indice désignant le coupable, son neveu.
J'ai alors écrit à Laurie King, qui m'a gentiment répondu qu'elle s'appelait bien ainsi, et qu'elle n'avait jamais lu d'Ellery Queen...
Depuis, j'essaie de lire tous les Laurie King traduits en français, avec parfois du retard puisque Hantises (A Darker Place) date en VO de 1999.
C'est un roman à part, inaugurant une nouvelle héroïne, Anne Waverly, professeur de théologie, travaillant occasionnellement pour le FBI en infiltrant des sectes suspectées d'activités dangereuses.
Anne est donc devenue Ana Wakefield pour entrer dans la secte Change, et sa couverture est si bonne qu'elle devient Ana dans la narration, ce qui ne peut que me séduire puisque "ANA" est pour moi un mot clé, notamment à cause du Domaine d'Ana de Lahougue, et des multiples coïncidences en rapport avec ce roman, essentiellement sur les noms Ana, Théo et Jonas des personnages ajoutés par Lahougue à l'intrigue originale du Voyage au centre de la terre. J'ai évoqué ici ma sidération en voyant les noms des deux principaux personnages du roman de Verne, Otto et Axel, être devenus Theo(dore) et Jonas dans une adaptation TV.
Ana est prof de théo..., c'est un peu léger, d'accord, mais quel va être le personnage satanique auquel elle va être confrontée ? Jonas !
Il s'agit de Jonas Seraph, le leader de la branche anglaise de la secte, là où il se passe les choses les plus suspectes, là où Ana se fait transférer après avoir réussi son entrée dans la branche américaine.
Après quelques jours dans la secte, elle rencontre Jonas, qui lui évoque aussitôt un ours:
Après cette page 302 de la rencontre, la comparaison ursine apparaît plusieurs fois, or Jonas est la forme grécisée de l'hébreu iona, "colombe", et je me suis intéressé ici à l'omniprésence des ours dans le voisinage des saints colombins, notamment saint Colomba d'Iona, évangélisateur de l'Ecosse. J'y remarquais que le nom hébreu de l'ours, dov, est homophone de la colombe anglaise, dove.
Il se trouve qu'il y a aussi un Dov dans cette histoire ! C'est certes un personnage de modeste importance, Dov Levinski, professeur dans la branche américaine de la secte, dont le prénom est mentionné une dizaine de fois, qui prononce quatre phrases entre les pages 176-181 pour ensuite disparaître totalement, après ces derniers mots:
Au milieu de la visite, Ana se glissa jusqu'à Dov:(Il s'agit d'un subterfuge, permettant à Ana de contacter un agent du FBI.)
– Surveillez les gosses sans moi pendant un moment, il faut que j'aille aux toilettes.
– Ça ne peut pas attendre cinq minutes ? répondit Dov agacé.
– Ce n'est pas pour faire pipi, chuchota-t-elle gaiement. A l'approche de la ménopause, on a des pertes importantes aux moments les plus inattendus.
Dov devint écarlate et s'éloigna d'elle comme si elle avait la peste. Ana fila à grandes enjambées vers les toilettes pour dames.
Je ne crois pas qu'il y ait plus d'une trentaine de personnages dans ce roman, et parmi eux donc Jonas et Dov, la colombe et l'ours hébraïques.
Il y a aussi un Jason, bien plus important. C'est un adolescent extrêmement prometteur dont les dirigeants de la secte ont perçu les potentialités.
C'est de fait le 3e personnage important du roman. Jonas est engagé dans une entreprise suicidaire, la transformation alchimique de son corps, folie qu'il entend partager avec quelqu'un, Jason ou Ana. Ana parvient à sauver Jason, et sort grièvement blessée d'un duel à mort avec Jonas.
Jonas a fait remarquer à Jason que leurs prénoms sont composés des mêmes lettres, dans un ordre différent (le mot anagramme n'est pas mentionné). Ceci a une signification implicite évidente, puisque Jason conquérant de la Toison d'or est emblématique pour les alchimistes, mais je vois d'autres possibilités.
Ainsi divers auteurs ont soulevé l'idée que le livre biblique de Jonas ait été en partie inspiré par le mythe de Jason, pour d'autres raisons que l'anagramme qui ne s'est révélée que plus tard. Ci-contre une coupe grecque montrant Jason avalé par un monstre, comme plus tard Jonas par la baleine. Il est frappant que le nom grec Jason soit lui-même anagramme de celui-de son père, le roi Eson (Ἰάσων et Αἰσων en grec, soit IASON et AISON). Le jeune Jason de King, n'ayant pas de père, est particulièrement disposé à subir l'influence d'un adulte comme Jonas.
Jonas Fairweather a choisi de devenir Jonas Seraph. S'interrogeant sur les raisons de ce changement, Ana (alors encore Anne Waverly) note sur son carnet les différentes acceptions de la racine hébraïque saraph (ou tsaraf, selon les tranlittérations).
Comme d'autres documents donnés en tête de chapitres, celui-ci n'est pas traduit, et le contenu du chapitre ne rend pas compte de toutes les pistes envisagées.
Ni de celles qui ne l'ont pas été, ainsi, si le sens qui s'imposera de seraph-tsaraf est celui de "purifier par le feu", Anne ne semble pas connaître un terme kabbalistique dérivé, le tserouf, qui désigne précisément l'anagramme.
C'est plus exactement une technique de permutation généralisée des lettres, spécialement associée à Abraham Aboulafia, kabbaliste espagnol du 13e siècle, et il est donc amusant de trouver ce Seraph "serouphant" son propre prénom.
A propos de la traduction, je vois page 321 Jonas citer "Arnold de Villanova", qui doit rendre l'anglais Arnold of Villanova, alors que "Arnaud de Villeneuve" serait mieux venu. Je n'accablerai pas ici un traducteur peut-être sous-payé, et je dois à des circonstances exceptionnelles de connaître Arnaud de Villeneuve, nomen mysticum de Rohmer selon le sieur Parvulesco...
Je ne vais pas revenir sur cette affaire, préférant constater que l'alchimiste Villeneuve est un exact contemporain d'Aboulafia, né en 1240. Deux anecdotes les concernant ont de curieux échos.
En 1280, Aboulafia prit le chemin de Rome pour sommer le pape d'améliorer le sort des Juifs. Nicolas III ordonna qu'on le brûlât dès son arrivée, mais ce fut lui qui mourut le jour même où Aboulafia arrivait à Rome...
Condamné pour sorcellerie, Arnaud de Villeneuve fut sauvé du bûcher par le pape Boniface VIII, qu’il avait guéri. Son successeur Clément V malade l'appela pour le soigner, mais Villeneuve mourut en 1317 sur le chemin de Rome...
Puisqu'il est question de tserouf ou d'anagramme, ARNOLD est un prénom de choix pour un LARDON puisqu'il se décline en ROLAND, RONALD, ROLDAN, LORAND, de quoi ravir les amateurs de la sextine inventée par Arnaut Daniel.
J'ai déjà mentionné ici le tserouf et sa racine tsaraf, à propos de Perec, dont le nom d'origine hébraïque a pour racine parats, "briser", exact renversement de tsaraf, "purifier". Or Perec était le champion du palindrome et de l'anagramme.
Ana-Anne signale sur son carnet le nom Tsarfat d'une petite ville entre Tyr et Sidon, mais ne semble pas savoir que c'est aussi le nom de la France dans la tradition juive. Le renversement de tsarfat donne le verbe parats à la seconde personne du singulier : "tu briseras".
J'ai trouvé Hantises le 1er juin dernier dans une solderie. Le lendemain, dans une bibliothèque, j'ai consulté le recueil Les dix Paroles (1995), pour son étude finale Lechon Haqodech (La Langue Sainte) de Joseph Elkouby. J'ai pris un cliché de ce tableau montrant les sens apparentés de 20 verbes trilittères débutant tous par les lettres PR. Je n'avais pas encore étudié le tableau de Laurie King où, pour transcrire le nom Seraph, 4 lettres hébraïques sont envisagées pour l'initiale S (samek-sadeh-sin-shin), les deux autres lettres RP ne permettant aucune équivoque. Les 4 inversions correspondant à ces 4 formes sont présentes dans le tableau d'Elqouby.
Le titre de ce billet fait référence au livre de Michel Pastoureau qui avait motivé mon billet ours-colombes, L'ours, histoire d'un roi déchu, en pensant aussi au père de Jason, également roi déchu, mais en ne souhaitant pas la chute de Laurie King...
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