1920: publication du livre L'île aux
30 cercueils, paru en feuilleton en 1919, où Leblanc semble le premier
à imaginer une série de crimes commandée par un texte préexistant. Le criminel
est ALEXIS VORSKI, dans le nom duquel se trouvent les lettres LIVRE
(+SIX OAKS, et 4 victimes sont crucifiées sur des chênes).
fin 1939 (novembre): publication à
Londres de Dix petits Nègres, où Christie rend visiblement
hommage à Leblanc, la série de 10 morts à l'île du Nègre, calquée sur la
comptine des Nègres, étant précédée par l'assassinat de Morris sur le continent
(et les 10 victimes ont été choisies car jugées responsables de 30 morts en
tout).
1940: la parution aux USA du roman,
sous un nouveau titre, contrecarre la publication du dernier Queen, lui aussi
basé sur des assassinats calquant les comptines de Mother Goose.
1960: Monsieur Cauchemar, où
Siniac (alors Signac) semble désigner comme l'étrangleur le bouquiniste
ESBIROL, soit LIBROS (+E), auteur du Secret de l'étrangleur, où
il a imaginé jadis une série de crimes analogue à celle qui se déroule du dimanche
30 janvier au jeudi 3 février. Voici les noms des victimes, mais il faut
attendre le livre de Peeters en 1980 pour donner du sens aux
lettres soulignées :
MALINGUET le 30/1
GOUVERNEUR (LE) le 31/1
JAVARD le 1/2
BLEUET le 2/2
BERGEL prévu le 3/2 par l'étrangleur qui est en
fait
DIEUBATTU qui est en fait tué par
Esbirol, avec Francinet et les flics témoins.
La fin n'est pas très claire, surtout que
Signac en propose 3. Le vrai étrangleur était Dieubattu, ancien ami d'Esbirol.
1980: les 3 premiers livres de Pierre
Signac n'avaient guère attiré l'attention à la fin des années 50, mais en 80
Siniac s'est fait un nom et Monsieur Cauchemar est alors réédité
sous ce pseudo définitif aux éditions Néo , tandis que paraît La
Bibliothèque de Villers, de Peeters, où une mystérieuse série de crimes
frappe la ville de Villers, tous les 25 jours. Après les 4 premiers meurtres,
on soupçonne fortement le bibliothécaire Lessing, lequel prépare un roman décrivant
une série de crimes similaires, imputée à un certain Rivelle, mais Lessing est
assassiné à son tour, complétant significativement la série des victimes :
IVAN
IMBERT
VIRGINIE VERLEY
RENE ROUSSEL
EDITH
ERVIL
ALBERT
LESSING assassin
supposé, dernière victime
La fin n'est encore guère représentative
du polar traditionnel, et c'est au lecteur qu'il appartient de découvrir que
l'assassin est le LIVRE (ou LE LIVRE anagramme de RIVELLE). Les prénoms et noms
des 4 premières victimes donnent la séquence IVRE, le L initial étant donné par
Lessing, l'initiale A de son prénom ne devant encore rien au hasard : elle
indique qu'il est le départ comme l'aboutissement de la série.
Il est hallucinant de retrouver la
séquence IV-RE-LA dans l'ordre, parmi les 5-6 victimes de Monsieur Cauchemar.
Ce n'est certes pas aussi immédiat que chez Peeters, où l'intentionnalité est
assurée: il faut prendre les 4es lettres des deux premiers noms, les
5es des deux suivants, et les 6es des deux derniers, ce qui
présente tout de même une certaine logique, d'autant que chacune de ces paires
a sa spécificité dans le récit. Il est frappant que ce soient les 4es
lettres de la première paire qui donnent IV (4 en chiffres romains, tandis que
les 4 premières victimes tuées aux 4 coins de Villers pouvaient former
l’acrostiche vier, « quatre » en flamand, seconde langue de
Peeters), et que la dernière victime variable permette l'alternative AL
effective chez Peeters. Enfin Esbirol est comme Lessing non seulement quelqu'un
qui s'occupe de livres, mais qui se mêle d'en écrire. "Tu vois, moi aussi,
j'ai des lettres !" dit Esbirol au jeune Francinet, ce qui pourrait être
une allusion aux lettres de son nom pouvant former le mot LIBRO(S), comme tous
les noms propres de La Bibliothèque de Villers ont quelque chose à voir
avec le mot LIVRE.
Le court roman de Peeters parodie Dix
petits Nègres, notamment par des allusions répétées au noir (de l’écrit) et
au blanc (de la page). Cette même année 80 a vu la parution d'une autre parodie
littéraire de Dix petits Nègres, utilisant notamment les allusions
noir/blanc, Comptine des Height de Lahougue. La coïncidence a alors été
remarquée, mais j'en ai vu une qui me semble bien plus remarquable entre
l'œuvre de Lahougue, suite de crimes dans la famille Height faussement
attribuée au jeune John Height qui, arrêté, se suicide en prison, et le roman
de Queen qui a remplacé celui de 40 dont la parution a été retardée à 43 du
fait de sa ressemblance avec Dix petits Nègres : dans La Ville
maudite, paru en 42, deux crimes dans la famille Haight sont attribués
faussement au jeune Jim Haight qui, arrêté, se suicide en prison.
Jean Lahougue m'a certifié ne pas avoir lu ce livre, ce qu'il est plus facile
de croire quand on sait que John Height est la version anglaise de son propre
nom.
2000: Borges et les orangs-outangs
éternels, du brésilien L. Verissimo. Les crimes du roman de Peeters
ont une distribution géométrique parodiant la célèbre nouvelle La Mort et la
boussole (1942, comme La Ville maudite), et Borges est ici enquêteur
éventuel d'un crime incertain dont les indices variables pourraient l'accuser,
selon leur 5e et dernière interprétation, le losange.
Les deux premières interprétations de
l'indice principal étaient les lettres X et O, accusant deux autres personnages
prénommés Xavier et Oliver. Je remarque, dans la stupeur la plus extrême,
que les lettres complémentaires de ces prénoms correspondent, dans le désordre,
aux séquences IVREA et IVREL formées par les prénoms et noms des victimes de
Peeters.
En 2000 est encore paru La Maison des
feuilles, de Danielewski,
exploration littéraire contée par trois narrateurs, dont une certaine Pelafina
Heather Lièvre (en français dans l'anglais original, HEATHER étant l'anagramme
de THE HARE, "le lièvre"). Une coquille
intentionnelle, soulignée par un [sic] constituant une nouvelle
interrogation pour le lecteur, la désigne une fois sous le nom Ms. Livre.
Le titre exploite la polysémie du mot "feuille" (plus riche
d'ailleurs en anglais), cette "maison" pouvant fort bien être le
livre lui-même, or la bouquinerie de Monsieur Cauchemar se situe rue des
Feuillantines, et Esbirol l'a nommée A l'In-folio des Feuillantines.
Comme il l'a été vu plus haut, ESBIROL a un E de trop pour former l'anagramme
LIBROS, "livres", et le jeu avec "lièvre", LIEBRE en
espagnol, n'est pas impossible.
Puisque l'espagnol est convoqué, 2000
est aussi la date de parution d'un polar littéraire presque ultime, La
Caverne des idées de Somoza, enquête sur le manuscrit "La Caverne
des idées", enquête de Héraclès Pontor sur une série de crimes dans la
Grèce antique... Comme dans La Maison des feuilles, les notes de bas de
page sont essentielles, leur longueur dépassant souvent celle du récit
primaire.
Et c'est encore l'année de parution de La
Mort des neiges, de Brigitte Aubert,
seconde aventure de son héroïne tétraplégique Elise, narratrice. Un autre degré
dans le livre devenant réalité car B* A*, l'écrivain qui a publié sa
première aventure, lui a imaginé une suite accumulant crimes et horreurs
divers, mais son manuscrit est tombé entre les mains d'une bande de
dingues qui s'appliquent à le mettre en oeuvre point par point...
Enfin mon unique roman publié est paru en
novembre 2000, Sous les pans du bizarre, dans la collection Gondol
voulue d'emblée intertextuelle par son créateur, JB Pouy, tous les ressorts
devant provenir de LIVRES, réels ou non. Mes goûts m'ont porté tout
naturellement à imaginer une série de crimes répartis logiquement dans le temps
et dans l'espace, avec de multiples coïncidences développées ailleurs, mais je
ne crois pas avoir encore relevé un point qui ferait le lien avec le premier
livre de ce réseau intertextuel, L'île aux 30 cercueils, qui commence
par une lettre du détective de l'agence DUTREILLIS, dans laquelle il informe
Véronique d'Hergemont qu'il a achevé la double mission qu'elle lui a
confiée, dont une partie consistait à retrouver l'endroit du tournage d'un film
où Véronique avait vu sur une porte l'inscription V. d'H., exactement conforme
à sa signature de jeune fille. J'ai vu dans cet achevé une possible
allusion aux initiales HV, qui pourraient de plus commander la succession
des 30 meurtres qui vont frapper l'île, répartis en Vingt-deux + Huit (les deux
seuls nombres cardinaux correspondant au rang ordinal de leurs initiales).
Bref, Pouy a tout naturellement décidé
que le héros de sa collection métatextuelle serait un libraire, et il a sis sa
librairie rue BEAUTREILLIS, probablement selon une démarche identique à celle
qui a conduit Leblanc à nommer son détective DUTREILLIS, mais Pouy aurait-il eu
cette idée s'il n'avait habité à deux pas de la rue BEAUTREILLIS ?
Je dois encore préciser que je n'ai
jusqu'ici pas orienté mes lectures selon un critère de publication vigésimale.
J'ai donc cité 10 titres parus en 20-40-60-80-00, qui ont tous en commun une
série criminelle calquée sur un texte préexistant. Il faudrait
peut-être affiner un peu mieux, tenir compte que 10 petits Nègres est
paru à Londres en 39, mais la parution en 40 aux USA sous un nouveau titre lui
vaut au moins une demi-mention, qui pourrait être complétée par la réédition en
80 sous le nom de Siniac de Monsieur Cauchemar de Signac.
Je connais bien évidemment d'autres
oeuvres qui pourraient répondre à cette définition, mais je serais bien en
peine d'en trouver les 190 qui équilibreraient les 10 "vigésimaux",
d'autant qu'il me semble probable que ma liste comporte des oublis, parmi les
oeuvres que je connais, dont je n'ai pas vérifié les parutions.
La plupart des textes essentiels semblent
en effet obéir à ce critère de parution vigésimale. Je regrette cependant de
n'avoir aucun Queen dans cette liste, les années 40 et 60 ayant été
"blanches" malgré une production importante pendant plus de 40 ans
(je rappelle tout de même qu'il aurait du paraître en 40 Il était une
vieille femme, retardé à cause de 10 petits Nègres). Je le
regrette d'autant plus que 20 semble un nombre fétiche pour Queen, comme la
lettre T (Twenty étant en anglais le seul nombre cardinal
correspondant au rang ordinal de son initiale).
A suivre, j'espère avant 2020...
Je ne croyais pas si bien dire. J'ai
rédigé ce qui précède les 29 et 30 janvier, après avoir vu le jour précédent
les possibilités de relier Monsieur Cauchemar à une série de livres qui
m'intéresse depuis longtemps, et j'ai remarqué à cette occasion la
prépondérance des dates vigésimales de parution de ces textes.
Ce 28 janvier Arte diffusait La mariée
était en noir, de Truffaut,
que je voulais voir. Reprenant le roman original de Cornell Woolrich pour
vérifier les distorsions opérées par Truffaut, j'ai vu que The Bride wore
black avait été publié en 40, et que c'était le premier roman policier
signé Woolrich, qui jusqu'ici avait publié des romans littéraires signés Irish
et des nouvelles.
C'était par ailleurs le premier roman
d'une série de 6 contenant tous black dans leurs titres, ce que je mets
en parallèle avec le Nigger du titre de Christie Ten little Niggers
qui a été censuré aux USA, transformé en And then there were none. Bien
qu'aucune influence ne puisse être suspectée, il y a des ressemblances entre
les deux histoires, séries de meurtres incompréhensibles, alors que les serial
killers étaient encore rares dans le genre. Les points les plus troublants
sont les ressemblances avec des parodies de Dix petits Nègres.
Ainsi Peeters a limité son roman à 5
meurtres, essentiellement parce que le mot LIVRE a 5 lettres, le dernier,
particulier, étant celui du bibliothécaire-écrivain Lessing. La vengeresse de
Woolrich a aussi une liste de 5 hommes à abattre, ce qui a donné lieu à une
construction en 5 parties, comme chez Peeters. La police a compris après le 4e
meurtre le lien unissant les victimes, et elle tend un piège à la tueuse en
remplaçant le dernier homme, un écrivain précisément, par un flic. Je ne sais
pas si ce point est suffisant pour classer le Woolrich parmi les polars
intertextuels, mais il y a une similitude confondante avec un polar
intertextuel de Queen, lequel parodie de plus vraisemblablement aussi Dix
petits Nègres, avec le nombre de victimes respecté. Cette similitude est
peut-être intentionnelle, car Woolrich était l’un des auteurs phares de la
revue EQMM.
La tueuse se fait donc passer pour une
dactylo afin d’approcher l’écrivain, pour le tuer, et tombe dans le piège
tendu. Après les meurtres mystérieux de 9 personnes dans Griffes de velours
(1949), Queen comprend la relation les unissant, et est à même de protéger la
10e victime, une dactylo, en la remplaçant par une fliquette. Le
tueur présumé approche la dactylo supposée en se faisant passer pour un
écrivain qui a besoin de faire taper au plus vite les deux derniers
chapitres de son roman, et il tombe dans le piège au 10e chapitre de
Griffes de velours, qui aurait dû être le dernier chapitre d’un polar
classique… Mais chez Queen il va encore s’agir d’un faux tueur, qui avait
compris que la police était sur la bonne voie, et qui entendait protéger le
vrai coupable en se substituant à lui. Queen aura besoin de deux
chapitres supplémentaires pour découvrir l’ultime vérité…
Il y a aussi un retournement final chez
Woolrich, que Truffaut a omis. Arrêtée, la tueuse explique aux flics le motif
de sa vengeance, et apprend alors que ceux qu’elle a éliminés étaient innocents
du meurtre de son mari. Un prodigieux hasard l’avait aiguillée sur une fausse
piste, et un autre prodigieux hasard a fait que son action a néanmoins permis
de découvrir le véritable coupable…
Par ailleurs le scénario de Woolrich a
été suivi assez fidèlement par Truffaut, sauf en ce qui concerne le 5e
meurtre et le personnage de l’écrivain Holmes. Truffaut en a fait un
ferrailleur malhonnête nommé Delvaux, dont il a confié l’interprétation à un
authentique écrivain, Daniel Boulanger ! Il arrive en 4e sur la
liste de Julie Kohler, mais la police empêche sa tentative en arrêtant Delvaux
pour ses malversations. Julie se laisse arrêter après l’exécution suivante afin
de pouvoir approcher Delvaux en prison…
Je reviens sur le motif de la série
« 4+1 morts », la dernière étant spéciale. J’avais remarqué plus haut
les similitudes entre Monsieur Cauchemar (60) et La Bibliothèque de
Villers (80), mais ce motif est aussi celui de Sous les Pans du bizarre
(00), que j’ai écrit sans connaître ces livres. Mes morts offrent plutôt un
schéma 3-1-1, 3 meurtres gouvernés par le temps et l’espace mènent à un suspect
que les enquêteurs trouvent mort ; un piège est tendu à un autre suspect,
mais celui-ci se suicide en complétant le schéma spatio-temporel esquissé par
les 3 premiers crimes. Le libraire enquêteur Gondol hésite à formuler une dernière
hypothèse, qu’il gardera pour lui : le coupable est Pouy, soit celui qui a
imaginé le concept de la collection Gondol… Selon ce concept où tous les
ressorts devaient provenir de textes, j’avais choisi d’innocenter le dernier
suspect par le programme d’un séminaire où il assistait lors du premier
meurtre, et ceci jouait au second degré car répétant à l’identique la façon
dont Queen innocentait le suspect des 9 crimes de Griffes de velours.
Voilà donc 4 romans avec un motif
« 4+1 morts », publiés en 40-60-80-00, et je peux aisément envisager
4+1 romans puisque les 30 morts de L’île aux 30 cercueils (20) se
répartissent en sous-groupes, le plus marquant étant les quatre femmes en
croix commandées par le texte suivi par le criminel, en l’an quatorze et
trois. Vorski crucifie donc 4 femmes, le dernier soupir de la dernière
correspondant en principe à l’achèvement du programme qu’il s’était fixé pour
obéir à une antique prophétie, mais la suite ne répond pas à son attente :
au lieu d’accéder à la puissance absolue il tombe aux mains de Lupin qui le
crucifie à son tour pour lui faire avouer où il a caché un prisonnier. Si Lupin
laisse finalement la vie sauve à Vorski, c’est ironiquement parce qu’il fait
confiance à une autre prophétie prédisant sa mort, qui se réalise
effectivement…
J’ai donc mes 4+1 romans intertextuels,
publiés en 20-40-60-80-00, contenant le motif « 4+1 morts », 4+1
romans car le fait que la 5e victime de La mariée était en noir
soit un écrivain est un peu léger pour le classer comme intertextuel. En
passant, 20 c’est 4 fois 5, et 5 c’est 4+1…
En déplaçant le critère de parution
vigésimale au motif « 4+1 morts », j’ai beaucoup plus de difficultés
à trouver des clients qu’avec le critère d’intertextualité, d’une imprécision
aisément extensible à beaucoup de fictions. Certes la popularité des serial
killers a dû multiplier les séries de 5, mais je me suis lassé du genre
depuis une bonne décennie et ne connais donc guère les parutions récentes. Le
premier titre qui me vient à l’esprit est, évidemment, Monsieur Abel, de
Demouzon, parce que j’y ai vu un beau schéma que Demouzon n’a pas reconnu comme
intentionnel : cet ABEL, retraité dont on ne connaît que ce (pré)nom,
décèle une série criminelle dans les morts qui surviennent dans sa petite
ville, et ces morts se prénomment Augustin-Bernard-Elisabeth-Liliane, initiales
ABEL ! Abel vient accuser celui qu’il estime responsable de la
machination, lequel a tôt fait de lui démontrer l’inanité de sa
construction : il a pris pour des meurtres un suicide, un accident et une
mort naturelle, et c’est son enquête qui a provoqué l’assassinat effectif de
Liliane… Abel rentre chez lui et se pend (comme la dernière victime de Dix
petits Nègres).
Monsieur Abel est paru en 79, mais la consultation des
parutions de Demouzon me livre une paire immédiatement significative, Quidam
en 1980 et La Promesse de Melchior en 2000. Je commence par ce dernier,
que Demouzon a d’abord intitulé Melchior et le fil bleu, en référence au
fil rouge, ou point commun d’une série quelconque. C’est une affaire de serial
killer, que j’ai néanmoins lue par fidélité à l’auteur, où le tueur est un
nommé Wolf (loup) qui mord ses victimes après les avoir entravées avec de la
corde bleue. Le lecteur ne connaîtra que les noms de 3 de ses victimes, Pontel-Richeaume-Ogier,
dans cet ordre, où je lis dans l’épellation des initiales P-R-O Perrault. Un
loup qui mord les petites filles, du fil bleu par opposition au rouge, j’ai
pensé au Petit Chaperon rouge et je n’ai plus douté après avoir
découvert l’exacte anagramme « Le Chaperon rouge imité » des lettres
« Pontel-Richeaume-Ogier », et « Richeaume » seul donne la
« chaumière » de la grand-mère...
J’ai rencontré Demouzon qui a entièrement
démenti cette lecture, et déclarer choisir les noms de ses personnages dans
l’annuaire, en changeant d’initiale à chaque fois (ce qui explique
P-R-O !) Ma lecture l’a néanmoins frappé, si bien qu’il m’a rendu hommage
dans Melchior en Automne où le commissaire rencontre la sœur de
la Richeaume assassinée par Wolf, qu’il compare à un petit chaperon rouge…
Quidam est un roman labyrintho-crépusculaire où il est difficile
de trouver un fil conducteur, qu’il soit rouge ou bleu, premier d’une série de
polars expérimentaux qui a fait perdre à Demouzon une bonne partie de son
lectorat. Il y a néanmoins une certitude, confirmée explicitement par le texte
et les commentaires de l’auteur, c’est une transcription moderne de la Belle
au bois dormant, l’autre grand conte de la Mère l’Oye, de Perrault… Il
pouvait y avoir une allusion à Barbe-Bleue, inspiré par Gilles de Retz, dans La
Promesse de Melchior, débutant au pays de Retz.
Le roman est si complexe que le nombre de
morts y est peu assuré, au moins 5 cependant, ainsi que l’identité des
coupables. En curieux écho à la coïncidence de la dactylo entre La mariée
était en noir et Griffes de velours, la Belle au bois dormant,
première victime, est une dactylo bilingue, ou du moins quelqu’un qui postule à
ce poste, puisque ce serait en fait une folle au parcours chaotique…
A propos de ce poste de dactylo bilingue,
Demouzon emploie l’expression « mettre les bouchées doubles », ce qui
pourrait être une excellente astuce, d’autant que pratiquement tous les
personnages du roman ont une double personnalité.
Le personnage principal, Raimbault, est
lui aussi un être dissocié, qui n’est en fait pas « Raimbault »…
Demouzon affirme dans sa postface qu’il n’a pas songé au « Je est un
autre » de Rimbaud, ce qui commence à faire beaucoup de coïncidences
inconscientes. J’y ajoute que ce pauvre Raimbault se retrouve chargé de tous
les crimes alors que le principal artisan (de 4 sur 5 !, si j’ai bien
compris) en est le commissaire Ortensia, un nom évocateur pour les rimbaldiens
(l’énigmatique poème H des Illuminations) et pour les lupiniens
(le fait que le nom Hortense ait
huit lettres et débute par un H semble gouverner l’ensemble du recueil Les
Huit Coups de l’horloge).
Côté Rimbaud, un roman de la collection
Gondol est intitulé Hortense Harar
Arthur… Revenir à la collection Gondol m’amène à l’autre titre de 2000,
le roman de Pouy paru en même temps que le mien, 1280 âmes, et
ce livre vient compléter idéalement la série des 4+1 polars basés sur 4+1
morts, sans constituer un 6e côté du pentagone ou plutôt une seconde
unification du quaternaire, puisqu’il s’agit dans ce roman de ressusciter 5
âmes, celles qui ont disparu dans la traduction de Pop 1280, devenu en
français 1275 âmes.
Le motif 4+1 est ici particulièrement
indiscutable, car Gondol, après avoir sillonné les USA où il n’a retrouvé trace
que de 4 âmes disparues, décrète que la dernière est le Christ, auquel
s’identifie le shérif de Pottsville, Nick Corey.
Curieusement, la dernière victime,
involontaire, de la vengeresse de La mariée était en noir, est le réel
assassin de son mari, également nommé Corey.
Il pourrait y avoir encore une
coïncidence de parution avec La Maison des feuilles, la même année, qui
dans une annexe présente 4 documents numérotés 175079, 001280, 046665, et
081512. Il est certain que le dernier numéro se lit 08-15-12, soit les rangs
des lettres H-O-L, acronyme du titre original House Of Leaves. Il est
probable, à moins que ce ne soit une nouvelle fantastique coïncidence, que
046665 soit une allusion à Pi, film marginal de Darren Aronofsky (1998),
qui s’achève sur deux opérations dont les résultats sont 46665 et 3,14…, soit pi,
le titre de l’œuvre). Attendu que Danielewski a résidé longtemps en France, il
ne serait pas impossible que 001280 soit une allusion à la traduction
kleptomane de Pop 1280, célèbre en France longtemps avant que Pouy
propose sa variation sur le sujet.
Rémi Schulz,
le 01/02/08
Un
prolongement ICI