Fin mai notre fille nous a prêté un coffret de 12 DVDs distribués par Le Monde, parmi lesquels Le cuirassé Potemkine qui a fait l'objet du dernier billet.
Le 6 juin nous avons regardé Pauline à la plage, de Rohmer (1983). Malgré les possibilités de nombre d'or dans Ma nuit chez Maud, objet de mon premier billet, je n'étais pas pressé d'explorer la filmographie de Rohmer, avec qui je ne me sens guère d'affinités. Les échanges divers ayant suivi ce billet m'ont appris que Rohmer était proche de Jean Parvulesco, ésotériste chrétien très à droite...
Le nombre d'or est volontiers prisé dans ce milieu, mais après tout, le communiste pur jus Eisenstein en était aussi un fervent adorateur.
Donc nous regardons Pauline à la plage, et dès les premières images je suis frappé par leur format inhabituel, je prends un mètre et mesure: 335 mm par 207, soit un rectangle d'or aussi idéal que possible (335/207 = 1.618...)
Je livre aussitôt le résultat de mon enquête ultérieure. Il ne s'agirait pas, selon divers forums de vidéophiles, du format original, en 4/3 (ou 1.33), mais d'un reformatage pour l'édition en DVD, et ce serait le seul film de Rohmer ayant subi cette opération parmi tous ceux parus en DVD.
La plus importante base de données sur le cinéma, IMDb, livre d'étonnantes précisions sur le format du film:
Aspect ratio
1.37 : 1 (director specified)
1.66 : 1 (cinematographer specified)
S'il faut l'en croire, 1.37 (ou 1.375 format standard assimilé au 4/3 TV) serait le format spécifié par le réalisateur, Rohmer, tandis que celui spécifié par le directeur de la photographie (Nestor Almendros en l'occurrence) serait 1.66, un format effectivement existant, correspondant à 5/3, proche du rectangle d'or. "cinematographer specified" n'apparaît que pour ce film parmi les centaines de milliers recensés par IMDb, mieux, cette fiche IMDb est selon Google la seule page où apparaît cette expression, parmi des milliards (en attendant que ce billet soit pris en compte), ainsi Pauline à la plage a bien une particularité unique.
Ce qui est certain, c'est que la pellicule utilisée pour le tournage était bien du 1.37, on en voit des images sur une annexe du DVD où Rohmer commente son film. J'ignore s'il y en a eu une exploitation cinéma en 1.66, mais ce format n'était pas inconnu de Rohmer. Il l'a utilisé pour son premier film, Le signe du lion (1959), puis y a eu préférentiellement recours à partir de L'ami de mon amie (1987).
J'ai un autre DVD au format 1.66, le Cyrano de Rappeneau, et mon ordi l'affiche au même format 1.62 que Pauline, qui n'est donc pas absolument exceptionnel sur ce point. Ce ne semble pas être le fait d'un défaut de rapport d'affichage car le logiciel DVD ouvre une fenêtre d'affichage selon les films soit en 16/9, soit en 4/3, et j'ai vérifié la grande exactitude de ces rapports. En 4/3 je me suis aperçu que l'occupation de la fenêtre variait sensiblement selon les films.
Le format 1.62 ne semble pas être une fantaisie de mon ordi, car le site DvdToile donne quelques images extraites du DVD, comme celle-ci:
Une petite coïncidence fait que, selon le format moyen d'image de Blogger avec lequel je compose ce billet, cette image ait assez exactement pour dimensions 81 mm par 50, ce qui permet sans grand effort de calculer le rapport, 1.62.
On ne peut évidemment passer d'un format 1.33 à 1.62 sans perdre une part de l'image. Si la largeur est conservée, ceci implique la suppression de plus de 1/6e de la hauteur, et explique pourquoi la tête et les pieds du petit ami de Pauline sont coupés ci-dessus.
Voici où j'en suis. Le format de Pauline ne semble donc pas exceptionnel, mais c'est réellement curieux, à mon niveau, que le boîtier du DVD annonce à tort 4/3, et que ce film soit livré dans le même coffret que Le cuirassé Potemkine, le seul film à ma connaissance dont le réalisateur ait revendiqué un montage selon le nombre d'or (et je suspecte dans mon billet précédent que ce montage ait dépassé les intentions d'Eisenstein). Potemkine et Pauline! Potine et Paulemkine! Avec Féod'or Atkine!
Je n'avais pas fait ces recherches lorsque j'ai regardé Pauline le 6/6, avec une certaine exaltation devant son format d'or effectif sur mon ordi. J'y ai été attentif au déroulement temporel, ce qui m'a amené à une possibilité de découpage selon les deux sections d'or, correspondant aux amours de l'héroïne éponyme (ou épaulyme), dans un étroit parallélisme avec ce que j'avais vu dans Ma nuit chez Maud. Cependant maintenant que je connais les libertés qu'Eisenstein s'est accordées dans son montage, je ne vais compter qu'en minutes.
Les 91' du film se découperaient en 35-21-35, et les 21' centrales correspondent tout à fait à l'amourette que vit Pauline, en laissant de côté les autres personnages.
C'est au début de la 35e minute que Pauline et Sylvain échangent leurs prénoms, cette minute n'est pas encore finie qu'elle lui laisse toucher son genou, "pôle magnétique du désir" selon Rohmer (l'image ci-dessus est à 34' 50" mais il est difficile d'apprécier le moment psychologique exact où Pauline accepte les avances de Sylvain).
A l'exact milieu du film, Henry couche avec Louisette lorsque Sylvain vient l'avertir du retour inopiné de Marion. Pour sauver sa liaison avec Marion, Henry lui fait croire que c'était Sylvain qui couchait avec Louisette. Marion en parle à Pierre, et Pierre outré dévoile ce qu'il croit être la vérité à Pauline pile à la section d'or exacte du film (soit à 56' 03", mais j'ai dit que je laissais tomber les secondes). Pleurs... Plus tard Pauline saura la vérité, mais ne pardonnera pas à Sylvain d'être rentré dans les combines minables des adultes.
Ainsi les amours de Pauline et Sylvain s'inscrivent entre les deux sections d'or de la durée du film, tout comme la "nuit" que Jean-Louis a passée avec Maud. De plus la scène où Pauline et Sylvain se rapprochent et celle où Pierre le dénonce à Pauline sont les deux dernières des quatre scènes qui se passent effectivement "à la plage", inscrivant donc comme dans Maud une relation entre le titre du film et son éventuel secret de fabrication.
Note ultérieure: Sylvain habite Granville, et j'ai appris en m'intéressant aux peintres ayant prôné la section d'or que c'est la ville natale de Maurice Denis, ce que ne pouvait ignorer Rohmer.
L'image où Pierre parle à Pauline n'est guère significative sans le son, alors je livre cette autre image, où Henry s'intéresse lui aussi au genou de Pauline endormie... Il s'agit d'une copie d'écran de la zone utilisée par mon logiciel de lecture, lequel indique un rapport d'affichage 16/9, ce qui correspond parfaitement à la fenêtre d'affichage du logiciel, avec les bandes noires qui rétrécissent le format effectif à 1.62. Par un hasard que je n'ai encore pas calculé, il se trouve que cette fenêtre mesure ici 80 mm par 45, permettant encore un calcul immédiat (80/45 = 16/9; l'image a 81 mm de largeur comme la précédente, mais deux petites bandes bleu clair rétrécissent la fenêtre d'affichage à environ 80 mm).
Mes investigations m'ont amené à une autre curiosité concernant la version originale de ce DVD. Il y est dit que Pauline à la plage a obtenu à Berlin l'Ours d'or du meilleur réalisateur, or c'est faux, il n'a eu que l'Ours d'argent (l'erreur n'a pas été reprise dans l'édition du Monde).
Les deux éditions en revanche signalent un format 4/3, alors que c'est bien un format d'or qui est proposé aux DVDphiles.
Le 7/6, en hommage à Brialy, Arte diffusait Le genou de Claire (1970), ce qui m'avait en partie motivé pour regarder Pauline la veille.
Il y a encore de belles possibilités, que je résume brièvement.
Jérôme va se marier, sa vieille amie Aurora (!) lui conseille une dernière aventure, avec la jeune Laura (!) qui aurait un faible pour lui. C'est pile vers la petite section d'or du film, générique de début omis, que Jérôme embrasse Laura, qui se dérobe presque aussitôt à son étreinte.
Ils se fréquentent ensuite gentiment, jusqu'à la grande section d'or du film, où dans une longue scène Jérôme confie à Aurora que finalement Laura ne l'intéresse pas, et qu'il ne songe plus qu'à sa demi-soeur Claire, mais uniquement à son genou.
Dans cette longue scène la section d'or exacte du film tombe sur une confidence d'Aurora, qui s'est donnée l'année précédente le défi de séduire 5 jeunes gars dans la même semaine, et est parvenue à ses fins avec 3 d'entre eux. 3 sur 5! Précisément le rapport sur lequel Eisenstein a fondé sa construction du Potemkine!
Et c'est vers la section d'or de la dernière partie, une double section d'or en quelque sorte, que Jérôme parvient à ses fins, de manière abjecte. Il raconte à Laura qu'il a vu Gilles, son petit ami, avec une autre fille, Muriel, et il profite de sa crise de larmes pour s'emparer du genou convoité. La scène est encore fort longue, et la section d'or idéale tombe au moment où Jérôme assure avoir vu Gilles embrasser Muriel.
Il y a donc une nette similitude avec Pauline, mais les ressemblances me semblent aller plus loin. Si le dépit amoureux n'est pas un sujet excessivement original, il est moins courant que le nom de la femme délaissée soit présent dans le titre de l'oeuvre. J'avais été frappé par les croisements entre les noms des personnages et ceux des acteurs qui les incarnaient dans Ma nuit chez Maud: Jean-Louis quitte Maud (Françoise Fabian) pour Françoise (Marie-Christine Barrault, dont j'ai remarqué le "nom doré").
Dans Claire comme dans Pauline nous ne connaissons que les prénoms des délaissées et de leurs rivales, et les valeurs numériques de ces prénoms forment un prodigieux équilibre:
Gilles (64) aurait trahi Claire (48) avec Muriel (78): 78/48 = 13/8, rapport de deux nombres de Fibonacci consécutifs donnant une bonne approximation du nombre d'or;
Sylvain (102) aurait trahi Pauline (78) avec Louisette (126): 126/78 = 21/13, le rapport suivant, celui-là même qui apparaît dans L'escalier d'Odessa (Le Potemkine, que Pauline t'aime !)
La valeur 102 de Sylvain est à exact mi-chemin entre celles de Pauline et Louisette, ce qui peut encore constituer une relation d'or, mais passons. Le nombre équivalent entre Claire et Muriel serait 63, et Gilles (64) l'excède d'une unité. Je ne fais aucune supposition sur l'intentionnalité de ces relations, et je termine par ce qui ne peut être qu'une coïncidence, rendant pourtant joliment compte de cet excès.
Le hasard a donc voulu que je regarde Claire, au format 4/3, le lendemain de Pauline, au format original 4/3 également, mais reformaté au format d'or, intentionnellement ou non. Dans Claire, Jérôme joue l'électron libre entre les deux demi-soeurs qui ont chacune un petit ami:
Claire (48) et Gilles (64): 64/48 = 4/3 !
Laura (53) et Vincent (87): 87/53 = 1.64... ; ce n'est pas une bonne relation d'or, mais le meilleur partage doré entier de la somme 87+53 est bien 87 et 53 !
Etonnant, non ?
Note du 30 juin: J'ai donné dans mon billet précédent une citation du jeune Rohmer qui écrivait en 1948 "chaque plan d'Eisenstein respecte, au millimètre, les lois du nombre d'or". J'y expliquais mes doutes sur cette assertion, laquelle témoigne du moins un intérêt certain de Rohmer pour la question.