février 2009 : je reprends ce billet commencé le 26 juillet dernier parce que je lui voyais un lien immédiat avec le précédent billet, sur la fresque Perec rue des Couronnes.
Il s'agit du film de Darren Aronofsky,
The Fountain, vu plusieurs mois auparavant, si riche qu'il est difficile de l'aborder, aussi je vais m'en tenir à quelques points ici.
Si les nombres étaient omniprésents dans son premier film,
Pi, il n'y en a pas ici, sauf, à deux uniques occasions, des nombres qui n'apparaissent qu'à l'image.
Tom Creo est un chirurgien travaillant sur le cerveau, motivé par l'espoir de
trouver comment guérir sa femme Izzi, souffrant d'une grave affection. Il vient de faire un grand pas, en guérissant un chimpanzé agonisant grâce à un composé issu d'un arbre du Guatémala,
Natul tortuosa, dit "arbre de vie".
Le spectateur peut déchiffrer le code identifiant cette espèce (qu'il est vain de chercher ailleurs), 82-A46. Sans imaginer de lien intentionnel, Perec est mort en 82, à 46 ans (en fait 4 jours avant son 46e anniversaire).
Tom n'aura pas le temps d'expérimenter plus avant le remède miracle. L'état d'Izzi se dégrade, elle est hospitalisée, et meurt après avoir fait promettre à Tom de terminer le livre qu'elle était en train d'écrire.
Le numéro de sa chambre d'hôpital apparaît à plusieurs reprises à l'écran,
620 (j'ai choisi l'image ci-dessous parce qu'on y voit Tom de face, d'autres images témoignent qu'il s'agit bien de 620 et non d'un nombre débutant par 620).
C'est parce que je comptais me mettre aussitôt à
The Fountain que j'ai insisté sur le nombre 620 dans le billet "précédent", où ce nombre correspondait à une orthographe erronée du nom Georges Perec en hébreu. J'y signalais l'importance de ce nombre dans la tradition juive, à cause des 620 lettres du Décalogue en hébreu, le texte supposé gravé sur les Tables de la Loi, le trésor sacré d'Israël conservé dans l'Arche d'Alliance, abritée dans le Saint des Saints du Temple de Jérusalem, auquel seul le Grand Prêtre pouvait accéder.
Or Izzi s'est évanouie alors qu'elle était au musée, où elle avait donné rendez-vous à Tom, musée où il y a apparemment une exposition spéciale intitulée
Divine Words, "Paroles divines", ce qui apparaît multiplement à l'écran, lors de la scène du musée, mais encore sur des affiches lorsque Tom sort de l'hôpital.
Dans le plan ci-dessus, Tom et Izzi sont proches l'un de l'autre, chacun sous une initiale de
Divine Words, mais un jeu de miroirs les fait apparaître séparés aux bords de l'écran, selon d'autres perspectives dont les lettres sont absentes.
Ainsi la caméra passe directement de
Paroles divines, dont le témoignage le plus marquant dans la judéo-chrétienté est probablement les Tables (appelées précisément
'edout, "Témoignage", en hébreu), à la chambre 620, où va mourir Izzi, après avoir transmis son manuscrit à Tom (c'est un nom hébraïque, signifiant notamment "jumeau", se renversant en
mot, "mort").
Mon précédent billet indiquait que 620 est aussi la valeur numérique du mot
keter, "couronne", le texte en 620 lettres du Décalogue étant pour cette raison appelé
keter tora, "couronne de la Tora". Il y a aussi une couronne dans
The Fountain, construit selon 3 plans temporels se mêlant diversement, le présent, où Tom ne parvient pas à sauver Izzi, le passé, où le conquistador Tomas est en quête de l'arbre de vie pour donner l'immortalité à sa reine Isabel, et le futur où un Tom astronaute navigue dans l'espace
en compagnie d'un arbre presque mort, représentant Izzi, reprenant vigueur dans les dernières images.
Si la reine Isabel a bien entendu une couronne, la quête de l'arbre de vie est évocatrice dans un contexte hébraïque, car l'arbre de vie est un nom du concept central de la Kabbale, le système des
sefirot, dont la première est
Keter, la "couronne", précisément.
La Kabbale était centrale dans le premier film d'Aronofsky,
Pi, dont le héros était Max Cohen, à comprendre "grand prêtre", détenteur par accident d'un secret jadis apanage du seul
cohen gadol d'Israël, donnant le pouvoir absolu. Je remarque qu'il y a aussi un grand prêtre dans
The Fountain, le dernier gardien de l'arbre de vie chez les Mayas, qui laisse Tomas le sacrifier.
Il était question dans
Pi d'une relation numérique à partir de la valeur de l'expression en hébreu "arbre de vie". J'émettais
ici mes doutes quant aux connaissances effectives d'Aronofsky sur la question, doutes renforcés par l'histoire mouvementée de
The Fountain.
Un premier projet à gros budget a avorté en 2002. Aronofsky désespérant de jamais réaliser le film en a confié le scénario à un dessinateur de BD, Kent Williams. Pendant que celui-ci travaillait Aronofsky a eu l'idée de récrire son film pour un tournage indépendant, dont il a trouvé le financement. La BD et le film sont ainsi tous deux sortis en 2006.
Si la BD est très similaire, on n'y trouve ni chambre 620 ni exposition
Divine Words, ce qui pourrait démontrer que ces éléments n'étaient pas primordiaux pour Aronofsky. De toute manière la piste hébraïque mène à un vertige qu'il aurait été difficile à quiconque de maîtriser :
- parmi le déluge de nombres de
Pi, le nombre-clé est 216, qui est aussi la valeur d'une
sefira,
Gevoura, la Rigueur.
- 620 et 216 sont non seulement des valeurs de
sefirot, mais des nombres de lettres de passages essentiels de l'
Exode, si essentiels que je ne pense pas que d'autres nombres soient pareillement évocateurs de passages bibliques.
- il existait déjà avant
Pi et
The Fountain de fabuleuses coïncidences sur ces nombres 620 et 216 que je développe
ici et
là, mais je les ai découvertes essentiellement par moi-même et n'en ai pas trouvé mention ailleurs.
- c'est à la 26e génération que JHWH a livré à "son peuple" sa Loi résumée dans le Décalogue; les 26 patriarches d'Adam à Moïse ont pour somme des valeurs de leurs noms 8246, écho immédiat à l'arbre 82-A46 (voir mon tableau
ici, où ce résultat est obtenu en prenant en compte le nom Israël à la place de Jacob).
Le nom de Moïse est prononcé dans la chambre 620, non celui du patriarche biblique, mais il s'agit du prénom de
Moses Morales, un guide maya qu'Izzi a connu jadis, et qui lui avait confié avoir planté une graine sur la tombe de son père, qui était devenue un arbre. On peut imaginer que l'arbre emmené par Tom dans son voyage stellaire est issu d'une graine qu'il a plantée sur la tombe d'Izzi.
C'est à cause de la richesse de ces coïncidences que ce billet a pris tant de retard, et je me résous à le livrer, alors que les page complémentaires tentant d'approfondir sont encore dans un état très provisoire, à cause d'une nouvelle coïncidence avec un thème en cours sur mon autre blog, Babel.
Il y a donc eu une première version à gros budget de
The Fountain, 3e film d'Aronofsky, avec Brad Pitt et Cate Blanchett dans les rôles de Tom et Izzi, mais les retards du tournage ont conduit les vedettes à se désister, la Warner à abandonner le projet en 2002, et Darren à déprimer sévère, jusqu'à ce qu'il trouve une autre solution pour réaliser le film, sorti en 2006. Or en 2006 est sorti
un film réunissant pour la première fois Brad Pitt et Cate Blanchett,
Babel, d'
Alejandro González Iñárritu, où une situation similaire apparaît puisque Brad attend ici à l'hôpital les résultats de l'opération pratiquée sur sa femme Cate, gravement blessée à la tête.
Il s'agit non seulement du 3e film d'Iñárritu, mais du 3e volet d'une trilogie dont chaque volet est axé sur le nombre 3 : 3 sketches dans
Amours chiennes (2000), 3 personnages dans
21 grammes (2003, 3 ans après), 3 continents dans
Babel (encore 3 ans plus tard).
Ainsi Brad et Cate ont abandonné un film "trichronique" pour se trouver à nouveau réunis dans un film trispatial, où trois histoires liées se déroulent simultanément dans trois continents, et leur réunion suivante sera
L'Étrange histoire de Benjamin Button, où Benjamin (Brad) vit à rebours, naissant vieillard et mourant bébé, développant néanmoins une relation privilégiée avec Daisy (Cate), "normale".
Bref je reviens à ma Babel sur le blog
Quaternité, où j'ai été stupéfait de découvrir deux châteaux triangulaires nommés Wewel et Sisak, correspondant par leurs consonnes à l'hébreu (où ne sont notées que les consonnes) BBL (B et V/W sont une seule et même lettre), et à son codage SSK (transformation alphabétique utilisée dans le livre de Jérémie), ce qui m'a conduit à cette superposition :
Voir donc
l'Etoile de Babel pour plus de détails.
Aronofsky a choisi des approches différentes pour les 3 époques de
The Fountain, par les couleurs et les formes dominantes, ainsi au passé est associé le triangle, au présent le rectangle, au futur le cercle, bien que ces figures puissent apparaître ensemble à chaque époque, probablement pas par hasard.
Toujours est-il qu'un élément commun aux trois époques est Xibalba, l'étoile symbolisant la mort chez les Mayas,
dont Izzi s'émerveille qu'elle est une nébuleuse mourante, et qui mourra effectivement, le but du voyage astral de Tom semblant être d'assister au cataclysme.
Dans
une belle étude en 3 parties sur
The Fountain, Eric Nuevo remarque que la première image du film est un cercle de verre, contenant une mèche de cheveux de la reine; il apparaît ensuite qu'il est au centre d'un reliquaire cruciforme, puis deux bougies construisent un triangle avec ce reliquaire, devant lequel Tomas se recueille.
La nébuleuse Xibalba semble de même au centre d'une constellation triangulaire (sur laquelle Izzi focalise sa lunette ronde), et je remarque
les cercles de la cloison de la chambre 620 formant par leurs entrelacements des étoiles de David.
Je remarque aussi que les consonnes BBL sont présentes dans xiBaLBa, et que la valeur numérique de SSK, codage de BBL, est 620, comme KeTeR.
6-2-0, 0-2-6, j'avais vu le renversement de 26, valeur du Tétragramme JHWH, en 620, valeur de la première
sefira, et voici que les films
The Fountain et
Babel sont tous deux sortis en 2006, composé des mêmes chiffres.
S'il faut le préciser, je n'imagine pas un instant que tout ça puisse être intentionnel. Je suppose qu'Aronofsky avait de profondes intentions, qui me semblent bien élucidées par exemple sur le
blog susmentionné, néanmoins ce n'est pas l'avis de tout le monde, et j'ai appécié ce
commentaire négatif sur IMDb, pour cette phrase :
Maybe, it was just incoherent babble!!(en anglais US,
babble se prononce comme
Babel)
Alors que des hasards ? Peut-être, mais des hasards orientés, semblant faire sens, et cette
orientation m'est l'occasion d'un lien avec
Pi, où sont citées diverses relations gématriques, dont l'une est loin d'être usuelle à ma connaissance.
Lenny, hassid dont Max a fait la connaissance, lui donne les valeurs numériques
233 de "l'arbre de vie" (en fait "l'arbre de la connaissance" selon Lenny)
144 de "orient" (en fait selon Lenny nom de l'Eden, "planté à l'orient")
Le spectateur ne saura pas ce qu'entendait tirer Lenny de ces nombres, car Max y reconnaît la suite de Fibonacci... Si cette relation est en partie fantaisiste, j'indiquais
ici qu'il existe une relation tout à fait immédiate entre les deux arbres qui semblent occuper tous deux le centre de l'Eden :
l'arbre de vie = 233 (en hébreu bien sûr);
l'arbre de la connaissance du bien et du mal = 932 = 4 fois 233.
Ci-dessus l'arbre qu'emmène Tom dans le cosmos, avant et après l'explosion de Xibalba, dans la version dessinée par Kent Williams.
Dans mes recherches kabbalistiques passées, j'avais remarqué un curieux retour de la valeur 1165 = 5 fois 233 des deux arbres réunis, celle de la formule donnée par JHWH à Ezéchiel, pour ressusciter les squelettes :
Des quatre directions (souffles) vienne l'esprit (souffle) (Ez 37,9)
La formule est délicate à traduire, le mot hébreu
rouah ayant de multiples acceptions, souffle, direction, vent, esprit, âme... Toujours est-il que lorsqu'on s'intéresse à la relation 4+1 des deux arbres de l'Eden, liés à la vie éternelle, on ne peut qu'être frappé de retrouver la même valeur pour une formule de résurrection où apparaît un explicite motif 4+1. Si la répartition n'est pas ici l'idéal 932+233, on n'en est pas loin :
םארבע רוחות des quatre souffles (=933)
באי הרוח vienne le souffle (=232)
Il se trouve que le mot "souffles" au pluriel, indiquant donc les 4 directions de l'espace, a pour valeur רוחות) 620).
Or dans la chambre 620, Tom voit la vie quitter Izzi et les appareils de contrôle afficher des tracés rectilignes.
Il se précipite désespérément sur elle, essayant en vain de lui communiquer son souffle vital. C'est alors qu'on passe à un plan en vue à la verticale, comme si l'âme d'Izzi avait quitté son corps, et 4 infirmiers se ruent autour du lit. Tom est entraîné de force hors de la chambre, Izzi ne sera pas réanimée.
Je suis conscient des multiples défauts de ce billet, rédigé alors que j'ai un peu oublié
The Fountain et que de multiples échos se bousculent dans ma tête.
Il me semble au moins indispensable de répéter que je n'ai pas choisi sa date de publication, le 26 juillet. Je voulais qu'il suivît le billet sur Perec, et je n'étais pas prêt à l'écrire alors que j'avais hâte d'étudier les Surimpressions du billet suivant, écrit et publié le 28 juillet. J'ai donc réservé un emplacement le 26 juillet, en débutant tout de même intentionnellement le billet à 6:20.
Or mon cheminement m'a conduit à découvrir le 8 septembre suivant un motif 4-1 dans la vie de Jung, esquissé
ici, si essentiel qu'il m'a décidé à démarrer le blog
Quaternité, originellement dédié aux motifs 4+1.
J'aurais été auparavant bien en peine de préciser le jour de naissance de Jung, départ de ce calcul, le 26 juillet (1875).