dimanche 27 juillet 2008

Surimpressions d'Afrique


Avis : ce billet est basé sur une particularité propre à Internet Explorer (sur PC) et les images subliminales présentées ne seront pas visibles sur d'autres navigateurs. Comme de plus leur affichage sous Blogger nécessite une petite manipulation, je donne une version plus pratique ici (mais qui nécessite toujours Explorer sur PC).

LES TOURNESOLS

J'ai évoqué dans deux billets l'onomométrie, procédé consistant à établir un portrait en pondérant les secteurs du dessin selon les valeurs des lettres du nom de la personne concernée.
Les artistes de l'Oupeinpo ont également appliqué le procédé à des photos, ci-contre Raymond Queneau, illustration de nouveau extraite de l'essentiel Oupeinpo (Seuil, 2005).
J'avais fait quelques essais, essentiellement à partir du portrait de Raymond Roussel en couverture de la biographie réalisée par François Caradec (édition 1997), et n'avais pas jugé indispensable de les livrer ici, jusqu'à ce que mes recherches sur les tournesols m'amènent à la curieuse magie d'une image d'un champ de tournesols, se transformant après sélection (par le jeu des touches Ctrl A) en une demoiselle très très peu vêtue.
Cette curiosité est hélas spécifique d'une fonction propre aux logiciels Microsoft. Ceux qui n'ont pas Internet Explorer auront l'ultime ressource d'exporter cette page sur Outlook ou Windows Mail, mais les allergiques définitifs à Bill Gates ne seront pas gâtés.
Appartenant encore à l'actuelle majorité du troupeau internautique qui utilise Explorer, et voyant la possibilité TOURNESOLS = NOT ROUSSEL, j'ai alerté mon ami Alain, infographiste de génie, qui a pondu aussitôt un petit prodigiciel permettant de créer ses propres images, ce qui m'a permis de recycler mes onomométries. Il faut donc afficher chaque image dans son format d'origine en cliquant dessus, avec la touche Shift (Maj) enfoncée si on veut l'ouvrir dans une nouvelle fenêtre, puis sélectionner l'image en appuyant les touches Ctrl A, et Les Tournesols deviennent STOLEN ROUSSEL, ou ROUSSEL, TON SEL, en pensant aux vers des Nouvelles (sur)Impressions :
Combien mettraient des jours, sans aide, à voir le sel
Dont sont sursaturés un mot, une anecdote !
Puis flèche retour en haut à gauche de la barre d'Explorer pour revenir à la page initiale (mais on peut s'épargner ces tracas avec l'autre version ici).
Peut-être ai-je choisi ces Tournesols de Van Gogh à cause de la scatologie de quelques proses de Roussel.

LES OURS (roussel)


Si la photo d'origine de Roussel se dissimulait derrière les Tournesols, c'est une première variation onomométrique qui est cachée derrière ces ours.
La photo a donc été divisée en 7 bandes horizontales égales, et chaque bande a été déformée selon un coefficient proportionnel aux rangs des lettres R-O-U-S-S-E-L.
Sur ces deux premières images la photo cachée reste perceptible, parce que les images masquantes n'avaient pas assez de détails et de contrastes. Pour mon onomométrie finale, où l'image précédente a été déformée verticalement selon les valeurs des lettres R-A-Y-M-O-N-D, j'ai choisi une image très complexe, issue de la BD de Dominique Hé, Le Faucon de Mû :

Mû : les rayons d'or (raymond roussel)

L'image cachée peut encore être perceptible en jouant avec l'angle de vision, car un écran couleur est formé de 3 couches superposées de pixels RVB, mais il devient difficile de deviner ce dont il s'agit.
J'ai d'abord pensé à l'anagramme Rayons de l'ormus, et c'est sous le signe de l'Ormus que j'ai rencontré Alain, mais je ne voyais guère comment illustrer ce thème bizarroïde, alors que le Faucon de Mû me permettait d'amener l'Egypte, soit l'Afrique des Nouvelles impressions rousseliennes.
Il est amusant que l'exemple donné par le logiciel d'Alain, lequel ignorait ce que j'allais en faire, cache Indiana Jones, dont la première aventure se passait essentiellement en Egypte aussi :

Enfin, puisque certains lecteurs de ce billet n'auront pas accès aux images cachées, les voici en clair :

samedi 26 juillet 2008

The Fountain

février 2009 : je reprends ce billet commencé le 26 juillet dernier parce que je lui voyais un lien immédiat avec le précédent billet, sur la fresque Perec rue des Couronnes.
Il s'agit du film de Darren Aronofsky, The Fountain, vu plusieurs mois auparavant, si riche qu'il est difficile de l'aborder, aussi je vais m'en tenir à quelques points ici.

Si les nombres étaient omniprésents dans son premier film, Pi, il n'y en a pas ici, sauf, à deux uniques occasions, des nombres qui n'apparaissent qu'à l'image.
Tom Creo est un chirurgien travaillant sur le cerveau, motivé par l'espoir de trouver comment guérir sa femme Izzi, souffrant d'une grave affection. Il vient de faire un grand pas, en guérissant un chimpanzé agonisant grâce à un composé issu d'un arbre du Guatémala, Natul tortuosa, dit "arbre de vie".
Le spectateur peut déchiffrer le code identifiant cette espèce (qu'il est vain de chercher ailleurs), 82-A46. Sans imaginer de lien intentionnel, Perec est mort en 82, à 46 ans (en fait 4 jours avant son 46e anniversaire).

Tom n'aura pas le temps d'expérimenter plus avant le remède miracle. L'état d'Izzi se dégrade, elle est hospitalisée, et meurt après avoir fait promettre à Tom de terminer le livre qu'elle était en train d'écrire.
Le numéro de sa chambre d'hôpital apparaît à plusieurs reprises à l'écran, 620 (j'ai choisi l'image ci-dessous parce qu'on y voit Tom de face, d'autres images témoignent qu'il s'agit bien de 620 et non d'un nombre débutant par 620).
C'est parce que je comptais me mettre aussitôt à The Fountain que j'ai insisté sur le nombre 620 dans le billet "précédent", où ce nombre correspondait à une orthographe erronée du nom Georges Perec en hébreu. J'y signalais l'importance de ce nombre dans la tradition juive, à cause des 620 lettres du Décalogue en hébreu, le texte supposé gravé sur les Tables de la Loi, le trésor sacré d'Israël conservé dans l'Arche d'Alliance, abritée dans le Saint des Saints du Temple de Jérusalem, auquel seul le Grand Prêtre pouvait accéder.
Or Izzi s'est évanouie alors qu'elle était au musée, où elle avait donné rendez-vous à Tom, musée où il y a apparemment une exposition spéciale intitulée Divine Words, "Paroles divines", ce qui apparaît multiplement à l'écran, lors de la scène du musée, mais encore sur des affiches lorsque Tom sort de l'hôpital.
Dans le plan ci-dessus, Tom et Izzi sont proches l'un de l'autre, chacun sous une initiale de Divine Words, mais un jeu de miroirs les fait apparaître séparés aux bords de l'écran, selon d'autres perspectives dont les lettres sont absentes.
Ainsi la caméra passe directement de Paroles divines, dont le témoignage le plus marquant dans la judéo-chrétienté est probablement les Tables (appelées précisément 'edout, "Témoignage", en hébreu), à la chambre 620, où va mourir Izzi, après avoir transmis son manuscrit à Tom (c'est un nom hébraïque, signifiant notamment "jumeau", se renversant en mot, "mort").

Mon précédent billet indiquait que 620 est aussi la valeur numérique du mot keter, "couronne", le texte en 620 lettres du Décalogue étant pour cette raison appelé keter tora, "couronne de la Tora". Il y a aussi une couronne dans The Fountain, construit selon 3 plans temporels se mêlant diversement, le présent, où Tom ne parvient pas à sauver Izzi, le passé, où le conquistador Tomas est en quête de l'arbre de vie pour donner l'immortalité à sa reine Isabel, et le futur où un Tom astronaute navigue dans l'espace en compagnie d'un arbre presque mort, représentant Izzi, reprenant vigueur dans les dernières images.
Si la reine Isabel a bien entendu une couronne, la quête de l'arbre de vie est évocatrice dans un contexte hébraïque, car l'arbre de vie est un nom du concept central de la Kabbale, le système des sefirot, dont la première est Keter, la "couronne", précisément.
La Kabbale était centrale dans le premier film d'Aronofsky, Pi, dont le héros était Max Cohen, à comprendre "grand prêtre", détenteur par accident d'un secret jadis apanage du seul cohen gadol d'Israël, donnant le pouvoir absolu. Je remarque qu'il y a aussi un grand prêtre dans The Fountain, le dernier gardien de l'arbre de vie chez les Mayas, qui laisse Tomas le sacrifier.

Il était question dans Pi d'une relation numérique à partir de la valeur de l'expression en hébreu "arbre de vie". J'émettais ici mes doutes quant aux connaissances effectives d'Aronofsky sur la question, doutes renforcés par l'histoire mouvementée de The Fountain.
Un premier projet à gros budget a avorté en 2002. Aronofsky désespérant de jamais réaliser le film en a confié le scénario à un dessinateur de BD, Kent Williams. Pendant que celui-ci travaillait Aronofsky a eu l'idée de récrire son film pour un tournage indépendant, dont il a trouvé le financement. La BD et le film sont ainsi tous deux sortis en 2006.

Si la BD est très similaire, on n'y trouve ni chambre 620 ni exposition Divine Words, ce qui pourrait démontrer que ces éléments n'étaient pas primordiaux pour Aronofsky. De toute manière la piste hébraïque mène à un vertige qu'il aurait été difficile à quiconque de maîtriser :
- parmi le déluge de nombres de Pi, le nombre-clé est 216, qui est aussi la valeur d'une sefira, Gevoura, la Rigueur.
- 620 et 216 sont non seulement des valeurs de sefirot, mais des nombres de lettres de passages essentiels de l'Exode, si essentiels que je ne pense pas que d'autres nombres soient pareillement évocateurs de passages bibliques.
- il existait déjà avant Pi et The Fountain de fabuleuses coïncidences sur ces nombres 620 et 216 que je développe ici et , mais je les ai découvertes essentiellement par moi-même et n'en ai pas trouvé mention ailleurs.
- c'est à la 26e génération que JHWH a livré à "son peuple" sa Loi résumée dans le Décalogue; les 26 patriarches d'Adam à Moïse ont pour somme des valeurs de leurs noms 8246, écho immédiat à l'arbre 82-A46 (voir mon tableau ici, où ce résultat est obtenu en prenant en compte le nom Israël à la place de Jacob).
Le nom de Moïse est prononcé dans la chambre 620, non celui du patriarche biblique, mais il s'agit du prénom de Moses Morales, un guide maya qu'Izzi a connu jadis, et qui lui avait confié avoir planté une graine sur la tombe de son père, qui était devenue un arbre. On peut imaginer que l'arbre emmené par Tom dans son voyage stellaire est issu d'une graine qu'il a plantée sur la tombe d'Izzi.

C'est à cause de la richesse de ces coïncidences que ce billet a pris tant de retard, et je me résous à le livrer, alors que les page complémentaires tentant d'approfondir sont encore dans un état très provisoire, à cause d'une nouvelle coïncidence avec un thème en cours sur mon autre blog, Babel.
Il y a donc eu une première version à gros budget de The Fountain, 3e film d'Aronofsky, avec Brad Pitt et Cate Blanchett dans les rôles de Tom et Izzi, mais les retards du tournage ont conduit les vedettes à se désister, la Warner à abandonner le projet en 2002, et Darren à déprimer sévère, jusqu'à ce qu'il trouve une autre solution pour réaliser le film, sorti en 2006. Or en 2006 est sorti un film réunissant pour la première fois Brad Pitt et Cate Blanchett, Babel, d'Alejandro González Iñárritu, où une situation similaire apparaît puisque Brad attend ici à l'hôpital les résultats de l'opération pratiquée sur sa femme Cate, gravement blessée à la tête.
Il s'agit non seulement du 3e film d'Iñárritu, mais du 3e volet d'une trilogie dont chaque volet est axé sur le nombre 3 : 3 sketches dans Amours chiennes (2000), 3 personnages dans 21 grammes (2003, 3 ans après), 3 continents dans Babel (encore 3 ans plus tard).
Ainsi Brad et Cate ont abandonné un film "trichronique" pour se trouver à nouveau réunis dans un film trispatial, où trois histoires liées se déroulent simultanément dans trois continents, et leur réunion suivante sera L'Étrange histoire de Benjamin Button, où Benjamin (Brad) vit à rebours, naissant vieillard et mourant bébé, développant néanmoins une relation privilégiée avec Daisy (Cate), "normale".

Bref je reviens à ma Babel sur le blog Quaternité, où j'ai été stupéfait de découvrir deux châteaux triangulaires nommés Wewel et Sisak, correspondant par leurs consonnes à l'hébreu (où ne sont notées que les consonnes) BBL (B et V/W sont une seule et même lettre), et à son codage SSK (transformation alphabétique utilisée dans le livre de Jérémie), ce qui m'a conduit à cette superposition :
Voir donc l'Etoile de Babel pour plus de détails.
Aronofsky a choisi des approches différentes pour les 3 époques de The Fountain, par les couleurs et les formes dominantes, ainsi au passé est associé le triangle, au présent le rectangle, au futur le cercle, bien que ces figures puissent apparaître ensemble à chaque époque, probablement pas par hasard.
Toujours est-il qu'un élément commun aux trois époques est Xibalba, l'étoile symbolisant la mort chez les Mayas, dont Izzi s'émerveille qu'elle est une nébuleuse mourante, et qui mourra effectivement, le but du voyage astral de Tom semblant être d'assister au cataclysme.
Dans une belle étude en 3 parties sur The Fountain, Eric Nuevo remarque que la première image du film est un cercle de verre, contenant une mèche de cheveux de la reine; il apparaît ensuite qu'il est au centre d'un reliquaire cruciforme, puis deux bougies construisent un triangle avec ce reliquaire, devant lequel Tomas se recueille.
La nébuleuse Xibalba semble de même au centre d'une constellation triangulaire (sur laquelle Izzi focalise sa lunette ronde), et je remarque les cercles de la cloison de la chambre 620 formant par leurs entrelacements des étoiles de David.
Je remarque aussi que les consonnes BBL sont présentes dans xiBaLBa, et que la valeur numérique de SSK, codage de BBL, est 620, comme KeTeR.
6-2-0, 0-2-6, j'avais vu le renversement de 26, valeur du Tétragramme JHWH, en 620, valeur de la première sefira, et voici que les films The Fountain et Babel sont tous deux sortis en 2006, composé des mêmes chiffres.

S'il faut le préciser, je n'imagine pas un instant que tout ça puisse être intentionnel. Je suppose qu'Aronofsky avait de profondes intentions, qui me semblent bien élucidées par exemple sur le blog susmentionné, néanmoins ce n'est pas l'avis de tout le monde, et j'ai appécié ce commentaire négatif sur IMDb, pour cette phrase :
Maybe, it was just incoherent babble!!
(en anglais US, babble se prononce comme Babel)

Alors que des hasards ? Peut-être, mais des hasards orientés, semblant faire sens, et cette orientation m'est l'occasion d'un lien avec Pi, où sont citées diverses relations gématriques, dont l'une est loin d'être usuelle à ma connaissance.
Lenny, hassid dont Max a fait la connaissance, lui donne les valeurs numériques
233 de "l'arbre de vie" (en fait "l'arbre de la connaissance" selon Lenny)
144 de "orient" (en fait selon Lenny nom de l'Eden, "planté à l'orient")
Le spectateur ne saura pas ce qu'entendait tirer Lenny de ces nombres, car Max y reconnaît la suite de Fibonacci... Si cette relation est en partie fantaisiste, j'indiquais ici qu'il existe une relation tout à fait immédiate entre les deux arbres qui semblent occuper tous deux le centre de l'Eden :
l'arbre de vie = 233 (en hébreu bien sûr);
l'arbre de la connaissance du bien et du mal = 932 = 4 fois 233.

Ci-dessus l'arbre qu'emmène Tom dans le cosmos, avant et après l'explosion de Xibalba, dans la version dessinée par Kent Williams.

Dans mes recherches kabbalistiques passées, j'avais remarqué un curieux retour de la valeur 1165 = 5 fois 233 des deux arbres réunis, celle de la formule donnée par JHWH à Ezéchiel, pour ressusciter les squelettes :
Des quatre directions (souffles) vienne l'esprit (souffle) (Ez 37,9)
La formule est délicate à traduire, le mot hébreu rouah ayant de multiples acceptions, souffle, direction, vent, esprit, âme... Toujours est-il que lorsqu'on s'intéresse à la relation 4+1 des deux arbres de l'Eden, liés à la vie éternelle, on ne peut qu'être frappé de retrouver la même valeur pour une formule de résurrection où apparaît un explicite motif 4+1. Si la répartition n'est pas ici l'idéal 932+233, on n'en est pas loin :
םארבע רוחות des quatre souffles (=933)
באי הרוח vienne le souffle (=232)

Il se trouve que le mot "souffles" au pluriel, indiquant donc les 4 directions de l'espace, a pour valeur רוחות) 620).
Or dans la chambre 620, Tom voit la vie quitter Izzi et les appareils de contrôle afficher des tracés rectilignes. Il se précipite désespérément sur elle, essayant en vain de lui communiquer son souffle vital. C'est alors qu'on passe à un plan en vue à la verticale, comme si l'âme d'Izzi avait quitté son corps, et 4 infirmiers se ruent autour du lit. Tom est entraîné de force hors de la chambre, Izzi ne sera pas réanimée.

Je suis conscient des multiples défauts de ce billet, rédigé alors que j'ai un peu oublié The Fountain et que de multiples échos se bousculent dans ma tête.
Il me semble au moins indispensable de répéter que je n'ai pas choisi sa date de publication, le 26 juillet. Je voulais qu'il suivît le billet sur Perec, et je n'étais pas prêt à l'écrire alors que j'avais hâte d'étudier les Surimpressions du billet suivant, écrit et publié le 28 juillet. J'ai donc réservé un emplacement le 26 juillet, en débutant tout de même intentionnellement le billet à 6:20.
Or mon cheminement m'a conduit à découvrir le 8 septembre suivant un motif 4-1 dans la vie de Jung, esquissé ici, si essentiel qu'il m'a décidé à démarrer le blog Quaternité, originellement dédié aux motifs 4+1.
J'aurais été auparavant bien en peine de préciser le jour de naissance de Jung, départ de ce calcul, le 26 juillet (1875).

dimanche 20 juillet 2008

Perec, presque fresque

J'ai pensé à mon amie Anna Sarfati en écrivant le billet sur la théologienne Ana qui notait le toponyme Sarfat, en étudiant la racine hébraïque seraph.
Et voici que peu après, Anna, qui habite Belleville, et dont c'est aujourd'hui l'anniversaire (yom tov, Anna), m'a envoyé des nouvelles d'un projet qui, après bien des tergiversations, est sur le point d'aboutir, la réalisation d'une fresque en hommage à Perec sur la façade de la médiathèque municipale Couronnes, dans le quartier où il a vécu ses premières années (ci-dessus le petit Georges âgé de 3 ans, à la maternelle de la rue des Couronnes).
Les images virtuelles présentées ici ne sont pas contractuelles, mais donnent une bonne idée du projet de Federica Nadalutti, qui a eu la gentillesse de me les communiquer.
Une fresque Perec... En hébreu le nom Perec s'écrit avec 3 consonnes, פרק translitérées PRQ, comme on le voit sur Hachayim horaot shimoush, l'édition israélienne de La vie mode d'emploi, or le mot "fresque" se dit en hébreu fresqo (exacte transcription de l'italien fresco), s'écrivant פרסקו, PRsQW, contenant dans l'ordre les 3 lettres PRQ de Perec.
Il reste les deux lettres sW, samekh-waw, qui ne correspondent pas à un mot hébreu, mais qui selon le système numéral traditionnel se lisent comme un nombre, s"W = 66, et ceci se révèle hautement significatif, selon au moins 3 lectures.

D'abord, la médiathèque Couronnes est sise au 66 rue des Couronnes, ainsi cette fresque a pour lecture immédiate Perec 66.

Le nom du grand-père de Perec était Peretz, "brèche" en hébreu. Ses trois enfants ont reçu les états civils Perec, Peretz, et enfin Perec pour le père de Georges, selon le contrôle successif de la ville où vivait la famille par la Russie, la Pologne, et à nouveau la Russie. La transcription phonétique pereq fait aussi sens en hébreu, "rapine" et "chemin qui bifurque" en hébreu biblique, puis "section", "chapitre", et c'est cette acception "chapitre" qui est privilégiée par l'hébreu moderne (la seule pour le substantif pereq selon mon dictionnaire).
Un nom propice pour un écrivain, mais plus particulièrement pour Perec, dont les contraintes d'écriture s'exercent souvent au niveau du chapitre, et le chapitre 66 est immédiatement évocateur pour les lecteurs intéressés par cet aspect de son écriture.
Pour les autres, il faut savoir que son oeuvre phare, La vie mode d'emploi, est basée sur une curiosité mathématique, le bicarré latin d'ordre 10. Au plus bref, Perec a eu l'idée de faire correspondre les 100 cases de ce carré à 100 pièces ou autres lieux d'un immeuble de 10 niveaux, et à 100 chapitres décrivant ce qui se passe dans l'immeuble au même instant. Chaque chapitre est régi par 42 contraintes issues du bicarré latin, auxquelles s'additionnent quelques autres contraintes, notamment celle du clinamen oulipien, ou erreur délibérée dans le système.
C'est ainsi que Perec n'a pas écrit l'un des 100 chapitres, et que celui qui a été écarté est le chapitre 66, ou du moins le chapitre correspondant à la 66e position du cavalier selon la polygraphie ayant déterminé l'ordre des chapitres, parce que les chapitres initialement prévus 67 à 100 ont vu leurs numéros rétrogradés d'une unité, si bien que l'absence de ce chapitre n'est pas aussi visible que l'était celle du chapitre 5 parmi les 26 chapitres de La disparition, où il y avait une page blanche entre les chapitres 4 et 6.
Un intense débat agite l'exégèse perecquienne autour des raisons qui ont motivé l'exclusion de ce chapitre 66, qui correspond au coin inférieur gauche du carré bilatin, et à une cave de l'immeuble. Il a été envisagé la publication d'un livre où 99 auteurs auraient écrit 99 chapitres 66, respectant les contraintes prévues par Perec pour ce chapitre.
Voir ici le פרק ס"ו, PRQ s"W, ou chapitre 66, du livre d'Isaïe. La transcription usuelle du qof étant k, on verra plutôt פרק transcrit perek, néanmoins j'ai trouvé cette page traduisant en finnois le pereq 66 d'Isaïe. Détail amusant, alors que la seule indication donnée par Perec pour l'exclusion de son chapitre 66 est que le 6 est connu pour être le chiffre du diable, comme ses dérivés 66 et 666, cette autre page voit un sens spécial à Yeshayahu Perek 66, Pasuk Vav, soit Isaïe 66,6 (seul livre biblique comptant 66 chapitres). Un seul livre biblique compte plus de chapitres, les 150 psaumes, ou tehilim, תהילים. Ils sont aussi accessibles en ligne, cette page donnant le psaume 66 titré chapitre 66, פרק סו, PRQ sW, sans le signe indiquant que s"W est un nombre, l'exacte anagramme de PRsQW, "fresque".

C'est enfin en (19)66 que Perec a rejoint l'Oulipo, au plus grand profit de tous puisque ce sont essentiellement les créations de Perec qui ont fait connaître l'Oulipo, et que ce sont les mathématiciens de l'Oulipo qui ont appris à Perec l'existence du carré bilatin exploité dans La vie mode d'emploi.
L'OUvroir de LIttérature POtentielle n'a pas été oublié par Federica Nadalutti, bien qu'il soit demandé un petit effort pour en reconstituer le nom à partir de 6 pièces de puzzle dont l'échelle et les couleurs varient.

Le nom complet Georges Perec s'écrit en hébreu ז'ורז' פרק, translitéré Z'WRZ' PRQ. La lettre G hébraïque, gimel, ne possède en hébreu que le son gué dur, aussi la langue moderne a eu recours à un artifice pour rendre le doux, vélaire : la lettre zayin suivie du signe qui ressemble à une apostrophe. Pourquoi zayin plutôt que gimel ? parce que la même combinaison avec gimel rend le j anglais de jeep par exemple (merci à Liza pour ces précisions).
Je n'ai que de modestes connaissances en hébreu biblique, si bien que j'ai d'abord pris le signe ' inconnu en hébreu biblique pour la lettre י, yod, très proche, et j'ai donc lu la séquence זיורזי פרק, translitérée ZYWRZY PRQ. Je n'en suis pas trop confus, car j'ai trouvé la même erreur sur 28 pages en hébreu, concernant toutes la traduction de W ou le souvenir d'enfance,
או זכרון-הילדות ... פרק זיורזי -W
ce qui se comprend parce que la graphie du nom de l'auteur sur la couverture ci-contre facilite la confusion.
Je rappelle que ce souvenir serait précisément la lettre gimel, en principe l'initiale hébraïque de son prénom que le petit Georges aurait su tracer dès 3 ans, acclamé par toute sa famille.
Avant d'être corrigé par Liza, j'avais eu la curiosité de calculer la valeur du nom erroné selon la gématrie, procédé de l'exégèse juive consistant à comparer des noms ou expressions de valeurs numériques identiques, et j'espère pouvoir faire partager mon émerveillement d'avoir obtenu ZYWRZY PRQ = 240+380 = 620.
620 est un nombre essentiel dans la mystique juive, celui des lettres du texte des Dix Commandements, que le judaïsme nomme plutôt les Dix Paroles, texte inscrit sur les deux tables de la Loi données à Moïse...
Parce que le mot כתר, KTR, keter, "couronne", a pour valeur 620, et que ce passage sacré entre tous de la Tora a 620 lettres, il est nommé keter tora, "couronne de la Tora", et ceci est notamment symbolisé dans chaque synagogue par la pièce de tissu couvrant l'arche abritant le rouleau de la Tora, représentant le plus souvent les Tables et soit une couronne, soit les mots keter tora ou leurs initiales.
Le sort a voulu que la médiathèque du quartier de naissance de Perec soit sise rue des Couronnes... Et que l'un des premiers textes évoquant le keter tora fût Pirqé avot, "Chapitres des Pères", datant du tout début de l'ère vulgaire (pirqé est le pluriel de pereq, "chapitre").
La "fresque Georges Perec" pourrait, pour le kabbaliste amateur, donner son adresse exacte, car la valeur 380 de PRQ est identique à celle de MsPR, מספר, mispar, "numéro", ainsi PRsQW ZYWRZY PRQ = MsPR s"W KTR, "numéro 66 Couronne".
Cette adresse serait sans ambiguïté à Paris, où il n'y a qu'une seule rue "Couronne", la rue des Couronnes dans le 20e, mais le hasard a encore voulu que le nombre 20 soit en hébreu עשרים, OSRYM, 'esrim, de valeur 620. Cette équivalence des mots "couronne" et "vingt" avait été soulignée par le kabbaliste Aboulafia, cité dans le billet où je remarquais que la racine parats du nom Perec se renversait en tsaraf, "purifier", d'où dérive le tserouf développé par Aboulafia, technique de méditation sur les permutations de lettres...

Je n'ai pu me résoudre à oublier ces possibilités issues d'une lecture erronée, mais Perec n'a-t-il pas choisi de s'appeler Parac pour signer un texte contraint ? L'approche "en Piric" permettrait aussi d'obtenir la valeur 620 désirée...
Il y aurait de multiples développements possibles à partir de la valeur réelle 600 de ZWRZ PRQ, ainsi la "fresque Georges" donnerait le fameux nombre 666. Le calcul selon le mispar qatan, ou "petit nombre" ne tenant pas compte des zéros, donne pour ZWRZ PRQ 22 11, ce qui est encore immédiatement significatif pour les amateurs de numérologie perecquienne.

Après avoir vu le renversement du nom originel de la famille, PRC en CRP, je me suis demandé ce que donnait celui de la nouvelle forme hébraïque, PRQ.
QRP n'existe pas, mais QRPP, avec le redoublement du P, est un substantif ancien, qarpef, "enclos", or Perec a publié en 1976 La clôture, recueil de 17 hétérogrammes enclos dans des grilles de 12x12 lettres, dont voici la 11e, débutant par le mot titre CLOTURE et s'achevant sur le mot CORPS.
Or CORPS, si on le transcrivait en hébreu, avec toutes les lettres sonores (comme l'anglais corpse, "cadavre"), deviendrait QWRPs, anagramme de PRsQW, "fresque".
Les 17 poèmes, sur feuillets séparés, étaient accompagnés de 17 photos (du moins était-ce ce qui était assuré sur le bulletin de souscription, car tous les exemplaires connus de ce rare recueil ne contiennent que 16 photos) du quartier d'enfance de Perec, essentiellement de la rue Vilin débutant rue des Couronnes. Perec mentionne la rue des Couronnes dans W ou le souvenir d'enfance, qu'il se rappelle avoir dévalée en criant de toutes ses forces : "Les oursons ! Les oursons !"

Quelque chose de moins sinistre, pour revenir à la fresque : La disparition, titre de Perec figurant ci-contre, est d'abord celle d'Anton Voyl, personnage du roman dont les lettres correspondent au mot "VOYELLE" privé de E. Cette disparition n'anticiperait-elle pas celle du vyol ? L'agence de publicité RAPE (Renseignements Aux Parents d'Elèves) a son bureau au-dessus de cette partie de la fresque. Si l'acronyme ne me semble guère heureux en français, il l'est encore moins en anglais ou rape signifie "viol".

Le rez-de-chaussée de l'immeuble du 66 se situe en contrebas de la rue des Couronnes. Le surplomb est protégé par une rambarde, composée de grilles comptant 11 barres verticales délimitant 10 espaces vides, ce qui est très perecquien.
Le projet de Federica Nadalutti utilise aussi ces grilles, où sera peinte en blanc, des deux côtés, une citation d'Espèces d'espaces :
Ecrire : essayer méticuleusement de retenir quelque chose, de faire survivre quelque chose (...)

vendredi 11 juillet 2008

l'Adversaire dans la Vie mode d'emploi

Mes deux derniers billets ayant évoqué des coïncidences entre des romans d'Ellery Queen et d'autres oeuvres, j'ai envie de faire le point sur une curiosité souvent mentionnée dans mes pages, les prodigieux échos entre l'oeuvre phare de Perec et L'adversaire, polar d'Ellery Queen traduit en français en mars 78, alors que La vie mode d'emploi, publié en septembre 78, en était au stade final des corrections.
Ces échos sont magnifiés par le titre du chapitre 10 d'un livre récent sur Perec, The Games of Fiction de David Gascoigne (2006),
Reading the adversary in La Vie mode d'emploi
qui est un hasard puisque le titre original de L'adversaire est The Player on the Other Side, originellement publié en 1963, et que Perec aurait donc pu lire en VO, ce dont je n'ai trouvé aucun indice.

L'histoire centrale de VME (Vie Mode d'Emploi) est celle du millionnaire Percival Bartlebooth, qui a réuni dans son immeuble du 11 rue Simon-Crubellier quelques personnes associées à son entreprise excentrique:
- le peintre Valène qui lui enseigne l'aquarelle pendant 10 ans;
- l'ébéniste Winckler qui transforme en puzzles les 500 marines peintes par Percival pendant un périple de 20 ans autour du monde;
- le chimiste Morellet qui a développé un procédé pour reconstituer et effacer les aquarelles originales à partir des puzzles résolus pendant les 20 années suivantes, si bien qu'il ne restera aucune trace d'une entreprise qui aura occupé Percival pendant 50 ans.
Le premier chapitre s'achève en mentionnant la vengeance patiemment et minutieusement ourdie par Winckler, qui n'a pas encore fini de s'assouvir. Le dernier chapitre s'achève sur la mort de Bartlebooth, le 23 juin 1975, qui n'a pu mener son entreprise à bien, et qui ne peut placer la dernière pièce qu'il a en main, en forme de W, initiale de Winckler, à l'emplacement libre en forme de X de son 439e puzzle.
L'épilogue s'achève sur la mort de Valène, que le chapitre central avait présenté en train de peindre une oeuvre monumentale, une vue en coupe de l'immeuble montrant tout ce qui s'y passe dans chaque pièce, y compris lui-même :
Il serait debout à côté de son tableau, et il serait précisément en train de se peindre lui-même, esquissant du bout de son pinceau la silhouette minuscule d'un peintre en train de se peindre...
Mais lors de cet épilogue nous apprenons que cette toile fabuleuse est en fait presque vierge, Valène s'étant limité à tracer
quelques traits au fusain, la divisant en carrés réguliers, esquisse d'un plan en coupe d'un immeuble qu'aucune figure, désormais, ne viendrait habiter.
Ce sont les derniers mots du roman, signifiant un autre échec, mais ils peuvent orienter le lecteur vers la découverte de la structure cachée du livre, pourvu qu'il ait l'idée que cette toile corresponde au plan de l'immeuble donné en vis-à-vis, sur lequel (ci-dessus) on peut observer 10 niveaux répartis chacun en 10 rangées, ce qui est beaucoup plus évident sur le plan ci-contre issu du Cahier des charges de Perec.
Ceci amène aisément à homologuer les 100 cases aux 99 chapitres du livre, et éventuellement à comprendre ensuite que la séquence des chapitres correspond au parcours du cavalier dans un damier de 100 cases.

Le lecteur de L'adversaire connaît aussi dès le premier chapitre l'assassin, John Henry Walt, l'homme à tout faire des cousins millionnaires York qui habitent les 4 demeures de York Square, pourvues chacune d'une tour.
Walt tue les 3 premiers cousins York, mais sa vengeance, dont les raisons précises resteront ignorées, ne sera complète qu'après avoir tué le dernier, Percival, volontiers nommé Perce (anagramme de Perec utilisée dans VME). Ainsi l'employé W du millionnaire Percival est engagé dans une obscure vengeance, cette phrase pouvant s'appliquer tout aussi bien à VME, et je suppose que David Gascoigne dans son chapitre sur l'adversaire dans VME y mentionne comme adversaire notable Winckler, qui signe sa vengeance par une pièce de puzzle en forme de W.
Or Walt avertit ses victimes par des cartons de forme curieuse, porteurs chacun d'une lettre énigmatique, jusqu'à ce que les enquêteurs s'aperçoivent que ces lettres JHW correspondent, dans l'ordre, aux initiales de John Henry Walt.
Ce ne sera pas la bonne solution, et le lecteur disposant du plan initial (absent de l'édition française) était à même de découvrir dès le premier carton que sa forme était identique à celle de la propriété de la première victime de York Square, et qu'il en découle logiquement que les quatre cousins sont menacés, pour que les quatre cartons décrivent l'ensemble de York Square, à l'exclusion du carré central de York Park, qui abrite la tombe vide de l'héritier direct, mystérieusement disparu en Amazonie.
Ceci est extrêmement évocateur pour les lecteurs de Perec, dans l'oeuvre duquel est constamment présente la disparition de sa mère déportée à Auschwitz. Ce manque est rapproché par les exégètes de l'oubli volontaire par Perec d'un chapitre de VME, celui correspondant au carré noir sur son plan de l'immeuble.

Puis vient le dernier carton, signifiant une prochaine "opération Percival", selon l'expression des enquêteurs.
Or il y a une "opération Parsifal" dans VME, liée à la mort de Percival Bartlebooth le 23 juin 75 devant son puzzle puisque le responsable de ce plan nazi, le général Pferdleichter, est exécuté par la Résistance le 23 juin 43, alors qu'il est en train de jouer aux échecs.
Il m'a d'abord semblé que c'était une trace manifeste des emprunts de Perec à Queen, mais la consultation des brouillons de Perec montre que ce point au moins est un hasard : une contrainte imposait une allusion à Wagner, d'abord rendue par une "division Parsifal".
Et pourtant il y avait la référence aux échecs, omniprésents dans L'adversaire, où les titres de chapitres font tous référence au jeu d'échecs, où les enquêteurs (les Queen, les "reines") découvrent que York Square flanqué de 4 tours à ses 4 coins ressemble à un échiquier, et que ses occupants correspondent remarquablement au pièces du jeu, avec notamment Percival en chevalier, knight, notre "cavalier" ou "cheval".
Ceci m'a fait comprendre que le choix de ce nom par Perec pour son personnage principal relevait, au moins pour une part, d'intentions similaires : le parcours du cavalier démarre sur le palier de Percival, et se termine dans son bureau, la pièce du fond de son appartement, ce à quoi Perec est parvenu après bien des tâtonnements et pas mal de chance.

Cette convergence est loin d'expliquer tous les points communs entre les deux oeuvres, détaillés sur mes pages, et notamment la présence parmi les contraintes de Perec de citations de Cristal qui songe, de Theodore Sturgeon.
Or L'adversaire marque un tournant dans l'écriture de la série Queen, auparavant écrite par les cousins Dannay et Lee, mais les difficultés entre les deux cousins ont conduit à ce qui semblait un arrêt définitif de la série, Le mot de la fin, en 58, jusqu'à ce que Dannay décide de la reprendre avec L'adversaire, où le rôle de Lee, donner à un synopsis une forme romanesque, a été confié à un autre co-auteur, Sturgeon, mais l'éviction de Lee a été un secret bien gardé jusqu'à la mort de Dannay, en 82.
Je détaille ici l'étrange proximité des citations de Sturgeon dans VME avec des points qui peuvent être associés à L'adversaire.
Dannay, né Daniel Nathan, semble avoir voulu régler des comptes avec son cousin dans cette histoire de cousinicides au nom de l'héritier légitime de York Place, Nathaniel junior, déshérité par Nathaniel senior. Il y a de même un fort arrière-plan familial dans VME, où Perec semble faire allusion via le X du puzzle à son père André. Queen joue à plusieurs reprises dans ses romans avec la croix de saint-André, et il me semble que dans celui-ci le personnage Ann Drew doit être assimilé au mouvement diagonal des fous, via le X de Andrew.
Les jeux de lettres semblent aller bien plus loin, chez Perec comme chez Queen, mais je laisse de côté ces spéculations pour finir sur un point totalement inédit.

VME débute par un préambule, qui est en fait le début du chapitre 44, où Perec expose brillamment l'art du puzzle, jeu interactif entre le faiseur de puzzles et le poseur, la suite du chapitre s'attachant à la relation particulière entre Winckler et Percival.
Les 4 pages du préambule sont identiques, à un mot près, au début du chapitre 44, mais les lecteurs attentifs des premières éditions (Hachette et sa reproduction photographique en poche) se sont aperçus qu'aucun paragraphe n'était composé de façon identique, ce qui donne l'étrange sentiment d'avoir affaire à deux textes différents, si bien que certains de ces lecteurs (j'en ai été) se sont demandés s'il n'y avait pas ici encore une manifestation de l'esprit tortueux de Perec.
Il semble bien qu'il n'en soit rien, et que ces différences soient dues à des compositions par deux protes distincts, VME ayant été composé à l'ancienne, avant l'arrivée des ordinateurs. Les éditions suivantes de VME ne montrent plus de différences dans la composition des deux textes identiques.

Il se trouve que L'adversaire débute par un texte repris au chapitre 23. C'est une lettre adressée à Walt, signée par son mystérieux commanditaire Y (le suspect principal est Percival, héritier des cousins assassinés).
L'édition française PAC de 1978 est si peu soignée que les différences entre les deux textes sont un détail secondaire. Il est plus curieux d'observer des variations dans l'édition Penguin, la seule en ma possession, où la lettre de Y est présentée comme le document original, composé à la machine à écrire, avec un espacement des lettres constant :
La même lettre trouvée par les enquêteurs au chapitre 23 devrait être identique, mais il y a plusieurs différences, au moins 3 indépendantes : deux sauts de lignes différents, et la signature Y décalée :

Le texte de cette lettre est encore repris sur l'illustration de couverture, visiblement copié sur la première version, mais il y a tout de même à nouveau un décalage dans le placement de la signature Y :

samedi 5 juillet 2008

dans tous les sens

Lors de mon dernier séjour parisien, j'ai remarqué le titre d'un livre d'occasion, Sens interdits, de Stona Fitch (ci-contre la couverture de l'édition allemande).
Le dernier volet de la chronique du 1er septembre 2001 d'Antoine Tanguay, Détours et sens uniques, mentionnée à diverses reprises, était intitulé Sens interdit. Il y avançait l'idée que le point commun des deux premiers romans de Percy Kemp, Musc et Moore le Maure, était la perte d'un sens, l'odorat et le toucher en l'occurrence, et, après avoir lu les 3 autres romans publiés ensuite par Kemp, de 2002 à 2005, il me semble que cette analyse était plutôt fine, puisque Le muezzin de Kit Kat (04) concernerait immédiatement l'ouïe, et que Le système Boone (02) et Et le coucou... (05) peuvent être reliés au goût et à la vue.
Je n'y insiste pas, me bornant à constater le silence éditorial de Kemp depuis 3 ans, comme s'il tenait à séparer ces 5 premiers romans d'une suite éventuelle de son oeuvre.
Je note encore une belle communauté d'idée entre Tanguay et la traduction de Senseless, qui n'est paru en VO aux USA que fin 2001, et en 2002 en France, sous le titre Sens interdits. La 4e de couverture précise que le livre a été écrit avant le 11 septembre 2001.

Il s'agit de la prise en otage à Bruxelles d'un économiste américain, séquestré par un groupe de terroristes aux motivations peu claires. Sa captivité est filmée et diffusée sur Internet, avec en points forts l'élimination successive des 5 sens de l'otage.
Peut-être, le livre étant ensuite paru en poche, avais-je déjà vu ce résumé, qui n'aurait eu alors rien pour m'inspirer, mais le roman ne relève absolument pas du gore et laisse deviner une grande subtilité de l'auteur.

Le nom de l'otage est Eliott Gast, or hostage, "otage" en anglais, est dérivé du mot host, "hôte", et c'est exactement le sens de l'allemand Gast.
Le prénom est peut-être aussi savamment choisi, l'une des traductions de The Waste Land de TS Eliot étant La Terre Gaste...
Les noms anglais des 5 sens, dans l'ordre où ils sont "hôtés" à Gast, sont Taste Smell Touch Hearing Sight, leurs initiales étant les 3 consonnes du mot HoST. Le français OTAGE pourrait être encore plus adéquat, Odorat Toucher Audition Goût..., Et l'otage découvrira après sa dernière opération, une énucléation au cours de laquelle il s'est évanoui, que ses ravisseurs lui ont laissé un oeil, ce dont il tirera une satisfaction indicible.

Eliott Gast n'a pas été enlevé au hasard. Il est secrètement le commis d'une "agence gouvernementale", chargé de distribuer des subsides à diverses personnalités vues favorablement outre-Atlantique. Gast n'a rien d'un héros, aussi, voyant son activité connue de ses ravisseurs, n'a-t-il aucun scrupule à leur assurer qu'il n'est qu'un pion, et qu'un bien meilleur otage serait son patron, Alec Moore.
Un nom apparemment plus quelconque qu'Eliott Gast, mais qui me frappe particulièrement. Leslie Moore est le personnage principal de Moore le Maure, le second roman de Percy Kemp. C'est également un agent secret, mais surtout quelqu'un qui perd progressivement le sens du toucher. Le roman s'achève sur cette phrase:
Il était devenu, dans le sens premier du mot, un être insensé.
C'est un détournement de sens absolument identique que Stona Fitch a commis avec son Senseless. Si Moore le Maure était traduit en anglais, ce serait évidemment le mot senseless qui rendrait cet "insensé".

Alec m'évoque immédiatement un polar atypique que j'ai apprécié, Abel Brigand, de JM Villemot. Une jeune fille est supposée assassinée, on découvre une à une d'anciennes lettres d'elle, donnant d'étranges rendez-vous à un oncle qui peut être soit le chirurgien Alec Cooper, soit le peintre Alain Vogt. On s'aperçoit que les lieux des rendez-vous épellent un prénom, Aéroport, Lac... Ce n'est pas suffisant pour déterminer le bon candidat, et le lieu suivant ne permet toujours pas de départager ALEc et ALAin car c'est l'Eglise d'une Abbaye...
Enfin le Cirque du 4e RV désigne ALEC, mais le curé-détective découvre un autre mode de lecture des rendez-vous, qui privilégient chacun l'un des sens, la Vue, l'Odorat, le Goût, le Toucher, et c'est VOGT que ces autres indices accablent...
Il y a là bien des échos avec l'OTAGe de Sens interdits, qui ne peuvent être des emprunts puisque Abel Brigand, publié en décembre 01, devait être écrit bien avant la parution américaine de Senseless en octobre.
Et Moore le Maure était paru en juillet.

Ainsi en 2001 sont parus trois livres où les sens sont au premier plan, deux en France avec un MOORE et un ALEC, et un aux USA avec un ALEC MOORE.
J'ai quelque part un livre titré 5, ni plus ni moins, recueil de nouvelles sur les 5 sens, 5 dues à des auteurs connus, 5 autres lauréates d'un concours sur ce thème.
Je le retrouve et ne suis pas surpris de voir qu'il a été imprimé en novembre 2001.
Je relis, et suis frappé par la qualité littéraire d'une nouvelle primée, Little green apples de Sébastien Fevry, que je me rappelle avoir aussi remarquée à l'époque, mais j'avais alors manqué d'attention.
Elle concerne l'odorat, et se présente comme le journal du gardien Henri d'une décharge privée, pendant 8 jours consécutifs, du Dimanche 8 avril au Dimanche 15 avril.
En 2001, l'année du concours, le 8 et le 15 avril étaient bien des dimanches, et pas n'importe lesquels, celui des Rameaux et celui de Pâques, en conséquence le journal d'Henri couvre exactement la Semaine sainte, mais ce n'est en rien explicite dans le texte, et le savoir n'aide pas immédiatement à comprendre les aspects intrigants de la nouvelle.
Je connais un roman en huit chapitres intitulés de Dimanche 2 avril à Dimanche 9 avril, qui se passe en 1944 où on peut vérifier qu'il s'agit aussi de la Semaine sainte, et Et le huitième jour... d'Ellery Queen (1964) se révèle sans ambiguïté une parodie pascale, même si ses intentions ne sont pas absolument claires.
Il m'est apparu que ce texte se référait abondamment aux Manuscrits de la mer morte, de M Burrows, avec des détails très précis comme le nombre sacré 50 des Esséniens de Qumran se retrouvant à l'identique chez les Quenanites de Queen.
Le mercredi le gardien de Fevry veut chasser un couple qui s'est introduit dans la décharge, mais les choses tournent mal et il tue les jeunes gens. Des idées de pureté le poussent le lendemain à refuser l'accès aux camions apportant de nouvelles immondices sur "sa décharge", qu'il veut transformer en un lieu agréable et parfumé, et il y plante 50 pommiers. Son patron vient lui demander des comptes le vendredi, Henri le tue lorsqu'il essaie d'arracher ses pommiers... Evidemment ça finit mal pour Henri le dimanche.
Chez Queen le Maître de la communauté de Quenan est condamné et mis à mort par les siens, le Vendredi (saint). Il y a aussi un Adam et une Eve.
Il existe dans la tradition chrétienne de multiples correspondances entre la Semaine de la création et la Semaine pascale, entre le pommier de la désobéissance et la croix du Christ, qui aurait été faite de son bois.
Mes connaissances en théologie sont limitées, et j'ai contacté Fevry, qui enseigne à l'Université de Louvain, pour lui demander quelques éclaircissements.
Il a été plutôt surpris. Bien qu'ayant effectivement voulu donner un côté édénique à sa décharge, il n'avait pas pensé à tout ça, notamment à la symbolique du pommier, Little green apples lui ayant été inspiré par la chanson homonyme de Tom Jones. S'il avait bien lu jadis Et le huitième jour..., il n'en avait pas vu toute la profondeur, et n'y pensait en aucune façon lors de l'écriture de son texte...

Je n'ai pas eu de peine à le croire, car j'ai jadis aussi lu innocemment ce Queen, et c'est dans des circonstances stupéfiantes que j'en ai entrevu le secret.
Autre curiosité, le judaïsme fête lui aussi une période pascale de 8 jours, laquelle commence le jour de Pessah, le 15 Nissan qui est une fois sur 7 un dimanche, alors que la semaine chrétienne s'achève le jour de Pâques, obligatoirement un dimanche. En principe, la Pâque chrétienne étant censée indexée sur la fête juive, elle devrait tomber le jour de Pessah lorsque celui-ci est un dimanche, mais les modes de calcul sont indépendants, si bien que c'est rarement le cas. Aussi, environ une fois tous les 10 ans en moyenne, la semaine Sainte chrétienne coïncide exactement avec les 8 jours de Pessah, du 15 au 22 Nissan, et c'était le cas en 2001.

Le fait que Pâques soit tombé un 15 avril, le même quantième que le 15 Nissan, peut être remarqué, mais il y a plus frappant.
La date importante de Abel Brigand est aussi le 15 avril, celle de la disparition de la jeune Alice supposée assassinée, en fait séquestrée, et qui réapparaît bien vivante à la fin du roman. Rien ne permet cependant d'affirmer que l'action se déroule en 2001, l'année de parution.
Je considère ce qui vient comme proprement ahurissant, peut-être parce que je suis intimement concerné. J'ai participé deux fois à des concours de nouvelles, et ai été primé une fois, en 2001 précisément, comme Fevry, pour le concours Les nouveaux Arsène Lupin, les textes primés ayant été édités dans un recueil paru en juin 01.
Or ma nouvelle, qu'on peut lire ici, s'inspirait d'une aventure de Lupin dont la date clé était le 15 avril, le 15-4 plus exactement, ce que j'avais transposé en 15 Rabi, 4e mois du calendrier musulman, dans mon histoire se passant en Arabie.
En jouant avec le sens des mots, il pouvait être question de sens dans mon texte, où le héros avait pris l'identité Nipulen-Esra, Arsène Lupin lu dans l'autre sens, mais il y a mieux.
J'ai signé cette nouvelle Annette Devi, en partie parce que je comptais publier prochainement un roman sous ce pseudonyme, Indécente (L'), construit autour d'un roman dans le roman, La fin monsieur Win signé Enid Navette, où les 5 enfants Twenty, d'initiales OPQRS, mouraient dans de mystérieuses circonstances, privilégiant chacune l'un des 5 sens. Mais, sans assurance d'avoir un éditeur, je n'ai pas finalisé ce projet qui n'a donc été publié ni en 2001 ni plus tard.

Alors que je n'imaginais d'autre lien entre ce billet et le précédent qu'Ellery Queen, j'ai appris en l'écrivant que Senseless vient d'être adapté au ciné, avec dans le rôle d'Eliott Gast l'acteur Jason Behr, dont le nom est étymologiquement l'ours germanique, et dont le prénom est comme il l'a été vu l'anagramme de la colombe hébraïque.

vendredi 4 juillet 2008

Jonas, story of a fallen King

J'ai trouvé le 1er juin un Laurie King d'occasion, Hantises, dont je n'avais pas repéré la parution en 2003, chez Ramsay, alors que son premier éditeur était Albin Michel.
J'apprécie les romans de Laurie King, pour leur qualité psychologique, et aussi parce que son premier roman était si riche en coïncidences que j'avais pensé que Laurie King ("laurier roi") était un nom calqué sur celui de mon auteur favori, Ellery Queen ("aulne reine").

Dans Un talent mortel (1996 en France), la peintre Vonnie Adams est assassinée dans une petite communauté en dehors du monde, un de ses tableaux représentant son cousin en train de scier du bois est mentionné.
Dans Le village de verre (1954), d'Ellery Queen, la peintre Fanny Adams est assassinée dans une petite communauté en dehors du monde, un de ses tableaux montrant un tas de bûches constitue l'indice désignant le coupable, son neveu.
J'ai alors écrit à Laurie King, qui m'a gentiment répondu qu'elle s'appelait bien ainsi, et qu'elle n'avait jamais lu d'Ellery Queen...

Depuis, j'essaie de lire tous les Laurie King traduits en français, avec parfois du retard puisque Hantises (A Darker Place) date en VO de 1999.
C'est un roman à part, inaugurant une nouvelle héroïne, Anne Waverly, professeur de théologie, travaillant occasionnellement pour le FBI en infiltrant des sectes suspectées d'activités dangereuses.
Anne est donc devenue Ana Wakefield pour entrer dans la secte Change, et sa couverture est si bonne qu'elle devient Ana dans la narration, ce qui ne peut que me séduire puisque "ANA" est pour moi un mot clé, notamment à cause du Domaine d'Ana de Lahougue, et des multiples coïncidences en rapport avec ce roman, essentiellement sur les noms Ana, Théo et Jonas des personnages ajoutés par Lahougue à l'intrigue originale du Voyage au centre de la terre. J'ai évoqué ici ma sidération en voyant les noms des deux principaux personnages du roman de Verne, Otto et Axel, être devenus Theo(dore) et Jonas dans une adaptation TV.

Ana est prof de théo..., c'est un peu léger, d'accord, mais quel va être le personnage satanique auquel elle va être confrontée ? Jonas !
Il s'agit de Jonas Seraph, le leader de la branche anglaise de la secte, là où il se passe les choses les plus suspectes, là où Ana se fait transférer après avoir réussi son entrée dans la branche américaine.
Après quelques jours dans la secte, elle rencontre Jonas, qui lui évoque aussitôt un ours:
Après cette page 302 de la rencontre, la comparaison ursine apparaît plusieurs fois, or Jonas est la forme grécisée de l'hébreu iona, "colombe", et je me suis intéressé ici à l'omniprésence des ours dans le voisinage des saints colombins, notamment saint Colomba d'Iona, évangélisateur de l'Ecosse. J'y remarquais que le nom hébreu de l'ours, dov, est homophone de la colombe anglaise, dove.
Il se trouve qu'il y a aussi un Dov dans cette histoire ! C'est certes un personnage de modeste importance, Dov Levinski, professeur dans la branche américaine de la secte, dont le prénom est mentionné une dizaine de fois, qui prononce quatre phrases entre les pages 176-181 pour ensuite disparaître totalement, après ces derniers mots:
Au milieu de la visite, Ana se glissa jusqu'à Dov:
– Surveillez les gosses sans moi pendant un moment, il faut que j'aille aux toilettes.
– Ça ne peut pas attendre cinq minutes ? répondit Dov agacé.
– Ce n'est pas pour faire pipi, chuchota-t-elle gaiement. A l'approche de la ménopause, on a des pertes importantes aux moments les plus inattendus.
Dov devint écarlate et s'éloigna d'elle comme si elle avait la peste. Ana fila à grandes enjambées vers les toilettes pour dames.
(Il s'agit d'un subterfuge, permettant à Ana de contacter un agent du FBI.)
Je ne crois pas qu'il y ait plus d'une trentaine de personnages dans ce roman, et parmi eux donc Jonas et Dov, la colombe et l'ours hébraïques.

Il y a aussi un Jason, bien plus important. C'est un adolescent extrêmement prometteur dont les dirigeants de la secte ont perçu les potentialités.
C'est de fait le 3e personnage important du roman. Jonas est engagé dans une entreprise suicidaire, la transformation alchimique de son corps, folie qu'il entend partager avec quelqu'un, Jason ou Ana. Ana parvient à sauver Jason, et sort grièvement blessée d'un duel à mort avec Jonas.
Jonas a fait remarquer à Jason que leurs prénoms sont composés des mêmes lettres, dans un ordre différent (le mot anagramme n'est pas mentionné). Ceci a une signification implicite évidente, puisque Jason conquérant de la Toison d'or est emblématique pour les alchimistes, mais je vois d'autres possibilités.
Ainsi divers auteurs ont soulevé l'idée que le livre biblique de Jonas ait été en partie inspiré par le mythe de Jason, pour d'autres raisons que l'anagramme qui ne s'est révélée que plus tard. Ci-contre une coupe grecque montrant Jason avalé par un monstre, comme plus tard Jonas par la baleine. Il est frappant que le nom grec Jason soit lui-même anagramme de celui-de son père, le roi Eson (Ἰάσων et Αἰσων en grec, soit IASON et AISON). Le jeune Jason de King, n'ayant pas de père, est particulièrement disposé à subir l'influence d'un adulte comme Jonas.

Jonas Fairweather a choisi de devenir Jonas Seraph. S'interrogeant sur les raisons de ce changement, Ana (alors encore Anne Waverly) note sur son carnet les différentes acceptions de la racine hébraïque saraph (ou tsaraf, selon les tranlittérations).
Comme d'autres documents donnés en tête de chapitres, celui-ci n'est pas traduit, et le contenu du chapitre ne rend pas compte de toutes les pistes envisagées.
Ni de celles qui ne l'ont pas été, ainsi, si le sens qui s'imposera de seraph-tsaraf est celui de "purifier par le feu", Anne ne semble pas connaître un terme kabbalistique dérivé, le tserouf, qui désigne précisément l'anagramme.
C'est plus exactement une technique de permutation généralisée des lettres, spécialement associée à Abraham Aboulafia, kabbaliste espagnol du 13e siècle, et il est donc amusant de trouver ce Seraph "serouphant" son propre prénom.

A propos de la traduction, je vois page 321 Jonas citer "Arnold de Villanova", qui doit rendre l'anglais Arnold of Villanova, alors que "Arnaud de Villeneuve" serait mieux venu. Je n'accablerai pas ici un traducteur peut-être sous-payé, et je dois à des circonstances exceptionnelles de connaître Arnaud de Villeneuve, nomen mysticum de Rohmer selon le sieur Parvulesco...
Je ne vais pas revenir sur cette affaire, préférant constater que l'alchimiste Villeneuve est un exact contemporain d'Aboulafia, né en 1240. Deux anecdotes les concernant ont de curieux échos.
En 1280, Aboulafia prit le chemin de Rome pour sommer le pape d'améliorer le sort des Juifs. Nicolas III ordonna qu'on le brûlât dès son arrivée, mais ce fut lui qui mourut le jour même où Aboulafia arrivait à Rome...
Condamné pour sorcellerie, Arnaud de Villeneuve fut sauvé du bûcher par le pape Boniface VIII, qu’il avait guéri. Son successeur Clément V malade l'appela pour le soigner, mais Villeneuve mourut en 1317 sur le chemin de Rome...
Puisqu'il est question de tserouf ou d'anagramme, ARNOLD est un prénom de choix pour un LARDON puisqu'il se décline en ROLAND, RONALD, ROLDAN, LORAND, de quoi ravir les amateurs de la sextine inventée par Arnaut Daniel.

J'ai déjà mentionné ici le tserouf et sa racine tsaraf, à propos de Perec, dont le nom d'origine hébraïque a pour racine parats, "briser", exact renversement de tsaraf, "purifier". Or Perec était le champion du palindrome et de l'anagramme.
Ana-Anne signale sur son carnet le nom Tsarfat d'une petite ville entre Tyr et Sidon, mais ne semble pas savoir que c'est aussi le nom de la France dans la tradition juive. Le renversement de tsarfat donne le verbe parats à la seconde personne du singulier : "tu briseras".
J'ai trouvé Hantises le 1er juin dernier dans une solderie. Le lendemain, dans une bibliothèque, j'ai consulté le recueil Les dix Paroles (1995), pour son étude finale Lechon Haqodech (La Langue Sainte) de Joseph Elkouby. J'ai pris un cliché de ce tableau montrant les sens apparentés de 20 verbes trilittères débutant tous par les lettres PR. Je n'avais pas encore étudié le tableau de Laurie King où, pour transcrire le nom Seraph, 4 lettres hébraïques sont envisagées pour l'initiale S (samek-sadeh-sin-shin), les deux autres lettres RP ne permettant aucune équivoque. Les 4 inversions correspondant à ces 4 formes sont présentes dans le tableau d'Elqouby.

Le titre de ce billet fait référence au livre de Michel Pastoureau qui avait motivé mon billet ours-colombes, L'ours, histoire d'un roi déchu, en pensant aussi au père de Jason, également roi déchu, mais en ne souhaitant pas la chute de Laurie King...